Bégaiement…

A l’eau
Peau à peau
Ta peau m’est peau
Appeau de mes mains
Appeau de mes reins
Dépôt de mes peaux,
Qui me collent à la peau
Comme pot de colle
Peau d’école décolle

Colle porte ma peau mate
Colle mate ma porte dépôt
Colmate mes pores mes ports
Mate mate mon col ma peau
Mate le peu de peau
Le peu de pas
Mate le port maternel
Mon éternelle sempiternelle
Peau de ma peau de ta peau
Terre ma terre maternelle
Pot de terre dépôt du repos

En pause de ta peau
Pause de posture
Posture ou imposture imposée
Pause du repos imposé
Imposé posé reposé
Peau à peau reposé déposé
A l’eau de l’aube
De demain
De mains
Peau à peau

Mon pays

Mon pays vente

Rafales de sanglots blonds que les rochers crachent
Rugissements de l’herbe égarée
Ce vent que je crie
Qui me hurle
Tâtonnement lucide de ma peine
Rien que ma solitude et le vent

Mon pays pleut

Et la pluie remplit la mer
La vide la trouble
Et la pluie brusque le sable
Le casse le raidit
Et la pluie cogne les cauchemars
Les oublis les peurs
Rien que mes pas et la pluie

Mon pays renaît

A la plainte du ressac
Au gras des rochers
A la lumière effeuillée que la baie invite sans relâche
L’aube comme une calligraphie
Comme un crépuscule que la brume oublie
Mon regard cueille cette fugue du ciel
Rien que l’inconnu et mon regard

Mon pays est rivage

Sans rien qui l’attache ou le noue
Juste un courant qui accoste
Des flots qui s’égrènent
Au gré du sable de mes pas

Mon pays est écho

Aux nuages échevelés que la pluie mange
A la lumière éclaboussée
par les coups sourds de la tempête
Comme au rythme de mon corps

Mon pays reste là

Juste là, Toujours
Sans moi ou avec ou
Contre
Au détour de la carte
Du récif
De la vague

Il m’existe

L’odeur de moisi

L’odeur de moisi a disparu un jour. Brusquement. Je ne sais pas pourquoi.

Elle me poursuivait depuis toujours comme celle âcre d’une vieille armoire que l’on ouvre après un long sommeil. Petite, j’en avais presque peur. Comme d’un démon qui me collait à la peau et défigurait mon visage, mon corps, ma peau. J’en avais honte comme d’une tare. Persuadée qu’elle me précédait en tout lieu, faisant reculer les autres … et moi en premier.

En grandissant, j’ai appris à m’en différencier. A m’en écarter. Lui tenant même des discours véhéments : « Eloigne-toi de moi. Je ne suis pas toi. Je ne suis ni rance ni aigre ni insidieuse. Va-t-en !». Ca, c’était les jours de combat, ceux où, sûre d’un peu de ma valeur, j’essayais d’être fière de moi. Prenant la colère pour chevalier face à cette ombre indésirable.

Les jours creux, au découragement pesant, je virais à la supplication : «  Je t’en supplie, éloigne de moi ce voile de moisi. Je crois que j’y pourris. Ce que je suis s’y décompose. Je me perds. Je t’en prie, éloigne-toi de moi. ». Je ne comprenais pas. Pourquoi moi et seulement moi, portais ce calvaire d’odeur désodorante.

Un jour je l’ai rencontré. Lui. Le corps massif, la figure ronde, les yeux vifs. Souple et agile. Surprenant. Et j’ai aimé son impatience, son impertinence. J’ai aimé ses mots attentifs, ses émotions habitées. J’ai aimé sa cuisine épicée et sa gourmandise. Je l’ai aimé, lui, rien que lui. Et il m’a aimé, moi et mes incertitudes. Moi et mon odeur de moisi.

J’ai même voulu le prévenir, un jour. Pour que déçu et outré, il ne parte pas en laissant la porte ouverte avec un grand courant d’air froid. Et il a ri. De ce rire qui le secoue tout entier. « Mais moi aussi j’ai une odeur qui me suit. Une odeur de voyage et de sable, de vent et d’agrumes. C’est l’ombre de la terre, née du monde des senteurs pour chacun de nous depuis des millénaires. Mais tout le monde l’a oublié ! »

Je suis restée interdite. Le monde des senteurs ? Aujourd’hui, plus souvent emprisonné en bocaux, prisonnier de nos modernités pressées que libre ou volage. Mais après tout, pourquoi pas.

Et je me suis glissée dans cet amour comme dans des chaussettes à bouclettes. Je me suis abandonnée à la chaleur de cette tendresse, au feu de ces rires, à la musique de ces mots. Je me suis sentie plus riche, plus parfumée, plus vivante. Et je l’ai peu à peu oubliée mon odeur de moisi. Je pouvais enfin traverser des rivières, portées par de petits galets sans plus craindre de tomber à l’eau. J’avais cessé de me battre contre un fantôme. Je bataillais pour la vie.

C’est quand elle a cessé, d’un coup, que tout cela m’a sauté au visage comme une bourrasque folle.

Je marche sur le gravier du cimetière. Je suis un cercueil. Celui de ma mère. La foule recueillie rythme son pas sur le mien. L’adieu est fait. Le temps est fini. La corde est rompue. L’air porte les effluves parfumés des couronnes et bouquets du jour, l’acre odeur du tapis de feuilles tombées, l’humidité nourrie de la terre après la pluie. Et là dans ce bruyant bouquet d’odeurs, une seule manque. Celle que j’ai tant cherchée à fuir ou à bannir.

Est-ce une amie ou un démon que j’ai perdu ? Un défenseur ou une ennemie qui m’a quitté ? Peu importe. Je leur ai dit au revoir à toutes les deux. Et j’ai continué mon chemin.