Mon pays

Mon pays vente

Rafales de sanglots blonds que les rochers crachent
Rugissements de l’herbe égarée
Ce vent que je crie
Qui me hurle
Tâtonnement lucide de ma peine
Rien que ma solitude et le vent

Mon pays pleut

Et la pluie remplit la mer
La vide la trouble
Et la pluie brusque le sable
Le casse le raidit
Et la pluie cogne les cauchemars
Les oublis les peurs
Rien que mes pas et la pluie

Mon pays renaît

A la plainte du ressac
Au gras des rochers
A la lumière effeuillée que la baie invite sans relâche
L’aube comme une calligraphie
Comme un crépuscule que la brume oublie
Mon regard cueille cette fugue du ciel
Rien que l’inconnu et mon regard

Mon pays est rivage

Sans rien qui l’attache ou le noue
Juste un courant qui accoste
Des flots qui s’égrènent
Au gré du sable de mes pas

Mon pays est écho

Aux nuages échevelés que la pluie mange
A la lumière éclaboussée
par les coups sourds de la tempête
Comme au rythme de mon corps

Mon pays reste là

Juste là, Toujours
Sans moi ou avec ou
Contre
Au détour de la carte
Du récif
De la vague

Il m’existe

Aube gracile

L’aube a brulé les derniers lambeaux de nuit qui s’évade, fuit et s’évapore vers ses refuges lointains. Les pierres du vieux mur chantent cette lumière gracile.

Viens, viens, le ciel brûle…

Jade jette l’édredon au bas du lit. Le silence lui répond ou plutôt un souffle au ronflement diffus. Jérôme n’a rien entendu ou ne veut rien entendre.

Elle entrouvre la porte poussant un pied fébrile dans son pantalon, sautillant sur l’autre pour aller plus vite. Cette essence de vie qui rôde au dehors l’appelle irrésistiblement. Les clés, deux tours, la porte et la fraîcheur la frôle. Murmure de son corps. Ses pieds nus enrobés encore de la chaleur du lit, frissonnent dans l’herbe humide. Elle s’allège, glisse, danse. Elle est à peine habillée ? Qu’importe, le jour est trop beau.

Derrière la colline, là-bas, le grondement sourd de la mer résonne. L’aube l’a réveillée elle aussi. Ooh, prendre le pouls de sa vigueur, ployer sous le vent matinal, chanter avec les vagues, savourer la caresse du sable.

Viens, viens la mer danse…

Jérôme n’entendra décidément pas, Jade est loin maintenant. Elle traverse la route, sans chaussures, en douceur, emprunte le petit chemin tortueux qui monte vers les dunes. Craquant de sable, de terre et de joncs égarés.

Pas de précipitations, une douceur appliquée, aux aguets, pour ne rien perdre de la douceur de l’instant. La mer bruisse derrière le mur de verdure. Elle chante et appelle. Sa voix prend de l’ampleur.

Oui je viens, j’arrive, souffle Jade.

Elle accélère le pas. L’étroit passage entre deux murs de sable, c’est le couloir des amours. Celui des retrouvailles.  Trois pas et …

Rien ne change, l’essoufflement mêlé de stupeur, un envahissement soudain, elle est là. Puissante. Grondant à l’assaut de la plage, sauvage et attentive, millénaire et naissante.

Et Jade est fascinée. En cet instant, le monde entier, immense et foisonnant lui parle et l’envoûte. Comment la mer est-elle autant d’histoires à la fois, autant de peuple, autant d’instants ? Comment porte-t-elle chaque matin une telle parfaite innocence ? Comment ne pas sentir ce bercement attendri ?

Jade se jette dans le sable doux, roule en riant, vers les vagues. Elle en a plein les yeux, du croquant dans la bouche, roule, roule, roule encore dans la petite pente. Et s’arrête à la frange de l’écume. Elle tend le doigt, goûte le sel, un tour encore, prend la vague entre ses doigts, et glisse dans les bras de la voluptueuse.

 

Un jardin extraordinaire

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Raideur mécanique d’une nurse amidonnée, poussant d’un pas militaire le landau à grosses roues. Le sable écrasé à chaque pas supporte stoïquement, sans murmures et sans cris. Y a-t-il autre chose à faire ?

Le banc aux rondeurs de bois et à la peinture écaillée, rêvasse de ses splendeurs d’antan. Il voit avec épouvante s’approcher trois bonnes grasses grand-mères aux beaux gros bras blancs qui croquent trois gros radis. Ses lattes grincent sous le poids, mais il se tait. Y a-t-il autre chose à faire ?

Le buis qui longe le chemin a encore les branches endolories de la taille d’hier. Où sont les fragiles petites pousses qui s’échappaient de la haie ? En sac, en poubelles, en fumée ? Tout doit donc être taillé, rectifié, ajusté, aligné, contrôlé ? Le buis soupire. Y a-t-il autre chose à faire ?

Rien sans doute, ou alors, quand tous ces importuns sont partis et que Vasco le gardien ferme les grilles pour la nuit …

Ce soir, Vasco a fermé le parc sans voir que nos trois grands mères étaient toujours là, passées du banc aux fourrés pour mieux papoter. Leurs beaux gros bras blancs animés d’une danse singulière au rythme des mots au débit ininterrompu. Prises dans le flot de paroles, elles n’ont rien vu, quand soudain…

Le buis s’est étiré en baillant, le sable a soufflé ses grains en une danse, le banc a souri, le tilleul a chatouillé le chêne, les rosiers ont rangé leurs épines, les canards ont dressé la table. Un parfum de lilas, une musique de renoncule, un gâteau de murmures, une corbeille de soleil couchant, des pétales à croquer, des trilles pour danser, parfum de fête, parfum de liberté.

Et voilà nos trois grands mères aux beaux gros bras blancs, embarquées bien malgré elles dans la fête. Sans coup férir, l’une a enlacé le tilleul pour une danse chaloupée, l’autre a lancé une sérénade soutenue par les cygnes et la troisième a sorti timidement de son sac, les gros radis qu’il lui reste pour que d’improvisée, la fête soit partagée.