Voeux

Et il y a toujours cette incertitude du matin
de ce que sera le jour, sa couleur, sa musique…
Quel souffle emportera le feuillage de nos peurs,
les entailles de nos doutes ?

Rien n’est écrit sur l’écorce creusée
juste la trace de la nuit sur les lèvres de son bois
juste le geste effréné des branches vers le jour
juste l’insolente mélopée des feuilles sous la brise.

Sous le couvert de l’aube, la danse des ombres inconnues
ouvrira nos voix, dessinera nos pas
comme le sifflement des nuages emportés par la sève.

Et dans sa course, la rivière portera une douceur
à la joie de nos rires, à nos mains enlacées,
à la lumière ajourée de nos silences,
aux accents acidulés, tenaces, cocasses aussi, de nos amitiés,
à la méticuleuse audace de nos tendresses,
à l’élan inestimable, improbable, imprévu de nos amours
encore et encore malgré tout!

Belle route au long de 2020….

De la pluie et du beau temps…

Ce matin je suis pressée, j’ai très peu de temps pour avaler un petit quelque chose avant de prendre le prochain train. Et j’ai faim. Plutôt que d’attendre dans la gare froide, je file vers le café d’en face. En ce samedi midi, la salle est bourdonnante. Les habitués me suivent d’un regard insistant mais je m’en moque. Un espèce de drôle de silence court sur mon passage. Qu’importe, je m’installe à une table. Je commande. Et je sors l’inévitable cahier et stylo qui ne me quittent jamais. Pour ces petits instants d’écriture volés au rythme trépidant.

Un homme s’installe en face. Perdue dans mes pensées, je ne le vois même pas. Le crayon en suspend, j’attends la phrase qui s’enfuit.

  • La neige va tenir je pense » lance l’homme d’une voix grave

On me parle ? Je lève le nez, sans baisser le crayon. Son regard est clair, attentif, souriant. Je ne sens aucune attente, juste cette envie d’échange. Briser cette petite bulle de solitude. La mienne ou la sienne ?

  • J’acquiesce poliment « Oui la neige va tenir j’espère, j’aime ce temps-là. »
  • « Moi aussi. » conclut-il dans un petit sourire.

Mon plat arrive, coupant court à l’échange. Mon temps est compté, je me dépêche… j’ai un train à prendre malgré la neige. Quand je me lève pour payer et partir, sa place est vide, ses affaires encore là. Je file.

Evidemment la neige perturbe le voyage. Et sur le quai déjà bien envahi de neige éparse, le froid transperce un peu. Pas les bonnes chaussures, pas le bon manteau. Pas le temps non plus. Et ça… la neige s’en moque. Elle provoque même. Pose comme une évidence notre impuissance, pousse nos impatiences dans leurs retranchements. Surtout arrêter de soupirer, cela ne sert à rien. Mes mains s’agitent dans mes poches, je les frotte un peu l’une contre l’autre, piétine un peu pour ne pas laisser le froid me grignoter le corps.

Le train traîne évidemment, retardé, encore retardé, et j’oscille dans cette hésitation infernale entre « je reste en espérant qu’il arrive pour finalement arriver pas trop en retard à Paris » ou « lâche abandonne, c’est foutu, tu… ».

Une voix grave que je reconnais m’interromps dans mes pensées : « Ce mépris des horaires et de nos impératifs ne mérite qu’une seule chose, c’est que je vous invite à prendre un thé ou un café pour vous réchauffer. »

Interloquée, je relève la tête et sourit de ce langage si joli. Après tout, je ne savais pas que faire, j’aime que les circonstances me propose une solution. Allons-y.

Café noir pour contraster le blanc qui s’étale. Mots banals pour contenir la contrariété. Et puis à bientôt. Chacun sa route. Il a bien tenté de connaître ce que mon crayon suspendu tentait d’écrire mais j’aime laisser le secret sur ce qui mijote en moi. Porte verrouillée pour les inconnus, monsieur !

Il est parti un peu plus rapidement que moi et j’ai continué à profiter de l’ambiance animée du café. Des blagues graveleuses qui fusent avec un rapide regard pour voir si je réagis. Une femme seule vous savez ! Des complicités autour des cartes qui claquent sur les tables. Et puis derrière la vitre un peu enfumée et embuée, cette neige douce qui continue de tomber. Recouvrant avec obstination les traces de passages et de vies.

C’est dehors que j’ai savouré ce temps étouffé. La neige adoucit, unifie l’espace. Rues, voitures, traces souvent sales de la vie commune, prennent un air de virginité nouvelle. Le froid dissuade de sortir et les passants sont rapides, frileux, peu nombreux.

Imprimer son pas dans le duvet tout neuf. Pas de mon enfance pour dessiner mon empreinte, ma route, unique, fière. Pas éphémères à l’ampleur de l’instant laissant une marque dans l’espace et le temps. C’est mon pas et c’est le premier ! Pas de la carte du tendre aussi, pas partagés scellés par la neige en premier nœud amoureux… Pas de parents attendris devant les enfants goutant cette première audace du haut de leurs petits pas. Que de pas appelés par ce velours blanc.

Je m’engage vers l’hippodrome savourant à l’avance l’étendue blanche bordant la forêt. Et c’est là que je l’ai vu de loin. Au milieu de ce qui était la pelouse, je le vois poser un pied dans la neige immaculé, puis un autre, puis encore. Il se retourne pour regarder sa trace. Et je l’entends rire. De ce rire d’enfance inimitable. Et il avance, dessinant scrupuleusement, un immense cœur avec ses pas. L’amour vu du ciel ?

Mon rire a fusé quand je l’ai vu hésitant, ne sachant comment quitter son dessin sans briser le cœur, sans lui ajouter un appendice disgracieux… Sursaut d’enfance à nouveau. Heureusement il ne l’a pas entendu. Je l’ai regardé partir regardant le ciel comme un ami, embrassant les flocons de ses bras, glissant sur le chemin pour mieux saisir la blancheur. Et j’ai eu comme un gout de rendez vous manqué.

Je n’ai pas pu résisté non plus et regardant si j’étais bien seule, j’ai entrepris moi aussi de dessiner mon humeur sur la piste éphémère. Imaginant une sortie à mon dessin, quelques pas alignés comme des gouttes, fil ténu tenant mon cœur arrimé… au chemin ? à demain ? à cette neige? A ce mystère de l’instant que je ne veux surtout pas déchiffrer.

J’ai resserré mon écharpe, remonté un peu mon col. Mis de côté mes pieds trempés. La courbe douce de la piste s’échappe de la brume. Suivre la barrière qui serpente. Regarder la terre porter ce linceul comme une naissance. A l’approche des grandes écuries, la statue équestre noire tranche comme perdue de solitude. J’ai envie d’aller jusqu’au château, le contempler dans sa nudité blanche.

« La neige va tenir, je pense » lance une voix grave. Je sursaute. Il m’a surpris, je ne l’avais pas vu, toute entière absorbée par la ouateur ambiante.

Nos rires se sont noués autour d’un deuxième café.

Partager l’enfance, c’est passer les barrières.

Verrou rouillé

Comme un verrou qui s’ouvre.
Un verrou fermé depuis longtemps.
Un claquement puis un grincement et il se lève.
La porte verrouillée s’entrouvre doucement, très doucement.

Frissons de ces mains levées, paumes ouvertes. L’énergie immobile montant de la terre se faufile au creux des corps. Mes yeux fermés goûtent ce regard intérieur, dessinent mes membres, accueillent mes gestes. Et nous sommes là, bien là, mon corps et moi.

Lâcher le geste en mesure, sans mesures. Relier, délier chemin faisant, marcher comme une vague, une houle, lâcher, encore lâcher, pour arrêter de s’interdire.

Réveiller le rythme endormi, l’écouter, le traduire dans ma langue, celle de mes doigts, de mes bras, de ma peau, de toutes ces parcelles de moi sous cape au quotidien.

Quitter cette obscure exigence du résultat, de la performance mesurée à celle des autres. Offrir plutôt. A soi et aux autres, cette symphonie de gestes donnés, inventés.

Et alors ils osent rire. Les hanches sont le balancier du métronome, ce battement du corps à corps, et les mains flottent, les pieds glissent et le buste ploie.

Relâcher encore pour arriver à la rigueur du geste arrêté. Entrer dans le rythme déployé et laisser parler, le plaisir du corps qui raconte.