Petite

Petite, j’étais mendiante.

Personne ne le voyait. Je n’avais ni haillons ni sébille. Je gardais les yeux clairs. Mais, en secret, j’étais chercheuse de regards tremblants, cueilleuse des miettes tombées sur le sol qui ne m’étaient pas destinées. On peut croire qu’un coin secret recueille en nous l’amour. Qu’il s’y pose, repose et germe. Chez moi, il n’y en avait pas. Et je restais mendiante.

Petite j’étais gentille.

Enfin, c’était l’habit que l’on m’avait mis. Comme une identité calée, validée, estampillée. Je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait. Avant de parler, je crois que ce langage s’était imprimé en moi comme l’encre d’un verrou. Je conjuguais le mot gentille. Je gentille, je te gentille, je vous gentille, comme une direction. Je le craquais, le torturais, le dépeçais. A l’intérieur, parfois, naissait colère, rébellion, méchanceté. Mais je ne parlais pas ce langage-là.

Petite, je crois que je savais.

Des choses immobiles, silencieuses, transparentes. Que la course et le bruit des jours ne captaient plus. Elles étaient comme un ruban soyeux, brillant, doux à mes doigts, comme une source chantante glissant dans mon corps en délicieux frissons, en caresses intérieures, comme une lune entre les nuages épars. A la lumière intime, recueillie. Perçant la nuit imposante. Les autres me croyaient ailleurs et j’étais au cœur. Et je ne pouvais rien pour eux.

Petite, j’étais la petite.

Très petite, très princesse, très minou, très câlin. Jamais tout à fait assez grande pour atteindre le chocolat. Jamais assez petite pour se cacher de tous. Jamais assez seule pour crier ma joie. Jamais assez entourée de bras pour pleurer le vide. Jamais sûre que demain serait là. Ni moi non plus. Alors…