Chemin balisé

Quoi de plus détendant que de profiter de son dimanche pour aller, en famille si possible, dans un de ces immenses magasins ouverts désormais presqu’en permanence.

L’escalier roulant n’offre pas le choix. L’entrée est là. Et uniquement là. Et vous mène dans l’antre du loup. Adieu la lumière du jour, l’univers devient factice, les spots de rigueur et la normalité déplacée. Pourtant tout est fait pour donner l’illusion d’un semblant de chez soi.

Et les flèches vous guident, au sol, aux murs, en peinture, en lumière, en carrelage… sans échappatoires possibles. Alors chacun avance. Doux mélanges des genres. Tout âge et tous styles cohabitent ou s’ignorent superbement. Venir en tribu implique de gérer les curiosités de chacun ou de tous, c’est selon. Et si dans les premiers tournants du chemin, les humeurs sont bon enfant, au fil des pas, elles le deviennent moins.

Au rayon salon, ne pas résister à l’envie de s’asseoir, pour ne pas dire sauter dans chacun des sièges. Avec le risque de perdre le petit dernier en arrêt devant le mécanisme inlassable du fauteuil tapé par un bras vigoureusement obstiné. Ou de se faire tirer vingt fois par la manche, viens voir, viens voir, si… La tentation est à chaque pas, chaque tournant, chacun trouvant là, une raison de réclamer ce qu’il croit lui manquer. Mais est-ce bien raisonnable d’imaginer venir dans un monumental palais de l’achat sans acheter ?

Au rayon cuisine, les couples débattent. Prix, agencement, logiciel 3D, couleur de porte, taille des meubles aux noms imprononçables. Attente interminable, l’énervement guette. Et les mains se nouent moins amoureusement.

Le labyrinthe continue. Au rayon enfant, c’est l’éparpillement garanti. Sous les chapiteaux miniatures, les doigts coiffés de marionnettes multicolores, enfouis dans les tas de peluches chaleureuses. « Et s’ils ne reviennent pas, ils n’auront rien ! », le ton est péremptoire, déjà bien agacé. Les voix sont plus fortes, comme si la présence de jouets autorisait à se lâcher un peu plus.

Pourtant reste l’épreuve du libre-service et de son entrepôt, ultime piège à grande échelle avant les caisses. Réussir à en sortir sans à minima dix choses, toutes très raisonnables, et absolument utiles, relève du tour de force.

Après les étalages fournis, de la vaisselle aux ampoules en passant par les tapis, voilà la cathédrale finale, D’immenses colonnes, toutes chargées de cartons empilés, un labyrinthe de chiffres, d’étages, d’étiquettes, de chariots surchargés et des ultimes présentations de tentations possibles… Parasols, chaises, tables de jardin, étagères en promotion, édredons compressés, boite à outil de pacotille et plantes vertes égarées nourrissent ce décor surréaliste.

On y trouve d’étranges forçats poussant en s’arcboutant des chariots savamment orchestrés de paquets innombrables. D’autres errants cherchant sur leur feuille, la bonne référence, écrite sur la bonne étiquette, du bon étage dans la bonne allée. Seuls les enfants caracolant entre tout cela trouvent là une piste de poursuite ou de cache-cache très à leur goût, sans que cela soit forcément apprécié de ceux qui les accompagnent.

Le meilleur reste peut-être de payer, me direz-vous, car à ce moment-là, la sortie est proche et la délivrance aussi. Cela dépendra du montant de la note, de la longueur de la file à la caisse, puis du temps passé à attendre la commande 42-13, qui n’arrivera que dans 45 interminables minutes, puis enfin, rentrer tout cela dans la, ou les voitures, entre ce que vous avez oublié de vider du coffre, les siège-autos volumineux, et les achats peut-être plus dodus que prévu.

Au moins, vous êtes sortis. Et la sortie est finalement aussi bien indiquée que l’entrée, c’est déjà ça…

Ne riez pas, j’y étais aussi !

 

 

En l’honneur de Maylis, née ce 10 avril…

texte écrit le 23 février 2008, pour la naissance de ma première petite fille, 

Petite Manon,

Quand je me suis levée ce matin, en sachant que tu n’avais pas 24h, je regardais le soleil poindre sur Paris en recevant au cœur cette étonnante et fabuleuse magie de la vie! Quelle joie plus grande qu’une nouvelle vie, que le bonheur qu’il suscite, la force qu’il dégage.

Pourtant, grande tu n’es pas. Une délicieuse petite fille, lovée dans les bras qui s’enroulent pour l’accueillir. Tu gardes les yeux fermés pour le moment. Peut-être savoures-tu les mains qui te prennent, les bras qui te portent ou les voix qui te parlent? Peut-être reconnais-tu deux voix en particulier, celles qui t’ont bercées pendant des mois? Tes petites grimaces, tes mains dont les doigts dessinent des figures, puis ton visage qui s’apaise et s’arrondit dans le sommeil. Abandonnée… Tu es craquante et mignonne.

C’est merveilleux de voir tes parents, tous jeunes parents, qui débordent de tendresse et d’amour pour toi. Il faudrait fixer la douceur des regards vers toi, les gestes chauds, les sourires émerveillés qu’ils échangent, … mais peut-on figer ces moments-là? Intemporels, extraordinaires et si concrets! Le miracle intact de la vie. C’est un premier jour, dans ce qu’il comporte de plus nouveau et de plus amplifié. Il y a tous les « premiers »… et puis, il y a cet amour qui a fécondé et grandi au fil de la grossesse et qui éclate là au grand jour.

A voir tes parents et la chambre pleine autour de toi, Manon, sois-en sûre, il y a beaucoup d’amour autour de toi en ce premier jour. Me voilà ta « Manou », heureuse de l’être, mais surtout de le devenir avec toi…

Bienvenue à toi!

 

 

Le temps des cousines

Caroline est arrivée aujourd’hui. Dans la grande maison de pierre, j’ai entendu son rire résonner jusque dans ma chambre. Vite, je descends les escaliers quatre à quatre, je lui saute au cou et je joins mon rire au sien.

Le temps des cousines est arrivé, le temps sans âge et étiré, le temps arrêté, rassemblé.

Avec Caroline, rien de bien commun en apparence. Pourtant, c’est elle que je préfère des trois cousines. Brune, un peu forte, explosive et chaleureuse, elle mène une vie originale et créative et moi, blonde, fine et réservée, inscrite dans un chemin nettement plus classique.Rien de commun en apparence.

Pourtant dans le couloir des souvenirs avec Caroline il y a la chambre des poupées.

D’interminables journées au chevet de nos « enfants », leur inventant milles tourments pour mieux les consoler, les cajoler, les soigner, … les commander. D’innombrables mises en scène de spectacles incompréhensibles, présentés à nos parents distraits, entre le café et le pousse-café, dans le grand salon, de la grande maison en pierre.

Puis la chambre des adolescentes.

L’humeur est aux couleurs, à la rébellion, aux questions. Nous rêvons d’ailleurs, d’autres contrées, d’autres mots, d’autres amours. Et le grand salon reste le lieu de nos revendications, de nos paroles ; que nos parents banalisent distraitement comme un nième spectacle des cousines.

Puis la chambre du voyage.

Lunettes fumées, rires qui couvent, insouciants baisers, chèches blancs autour du cou, le départ est donné. Avec Caroline et Sophie, c’est l’envolée des cousines vers le sable ouaté du désert. On est loin là de l’univers prévisible de la grande maison, des conseils angoissés des parents, des peurs sorties au grand jour, ou des airs distraits. C’est le premier départ, l’insouciant partir.

Et, dans le cœur du désert, dans le crissement discret du sable sous les chaussures, dans le silence habité de l’espace, dans le temps démesuré pas après pas, le déplacement partagé a fini de nouer un lien invisible entre nous.

L’indéfectible temps des cousines, tissé d’une chambre à l’autre dans le couloir des souvenirs.