Le vieux grenier a bien changé. Depuis de longues années, le plancher centenaire repose sous une fine couche de paille fatiguée. Il ne porte plus de ballots de foin ou de paille. De bons gros ballots, ficelés et pesants. Entassés, empilés, serrés. Fini, interdit, sécurité incendie oblige, les greniers ne sont plus que des greniers sans objet. Nostalgie, bruits étouffés de l’écurie qui lui parviennent en sourdine. Le grenier a été mis de côté, relégué au rang des inutiles. Et il attend une improbable renaissance qui se fait attendre.
Sous ses planches en pin, il entend les coups des portes, le grincement des verrous, les voix assourdies, il sent monter chaleur, odeurs de fumier, chocs sourds des sabots obstinés des chevaux frappant le sol d’ennui ou de colère, mais sur son plancher à lui, plus de pas, ni de fourches, de jurons ou de sueur. Rien, et même moins que rien. Rien.
Puis l’écurie se vide peu à peu. Il le sait le grenier. Les échos du monde s’amenuisent, les sabots résonnent moins sur les pavés, le silence s’allongent, les jours s’étirent.
Et le temps dure, encore et encore, même la mémoire des jours de vie part dans le lointain sans contours ni couleurs. Le grenier ne sait plus. Il entre dans une étrange léthargie, il rêve, somnole, s’évade, … coma, absence.
Puis un jour, une échelle s’adosse à son mur, une main s’échine à ouvrir le verrou rouillé d’une de ses portes, un juron, deux, le verrou résiste, collé par les pluies et le vent. Il cède finalement dans un grincement plaintif. Et le grenier ébloui reçoit en plein cœur l’insolent rayon de soleil qui l’envahit soudainement. C’était donc cela la lumière, cette chaude caresse, ce violent regard, cette présence qui flambe.
Le vieux grenier assoupi en est tout abasourdi. Comment peut-on oublier à ce point ? Vite, maintenant, savourer, goûter, prendre, ne rien perdre de cette miette d’instant béni. Quelqu’un monte, une non deux puis trois… On ouvre une autre porte à l’autre bout du grenier, un autre flot de lumière, et les voix sont fortes, bavardes, multiples, une plus insistante que les autres. Les pas vont de long en large, de large en long. Puis tout se ferme et le noir sombre reprend ses droits.
Le grenier en sombre de tristesse.
Mais l’échelle revient, cognant joyeusement le mur. Une, non deux, non trois fois. Le verrou s’ouvre plus docilement. Et le grenier attend ces visites maintenant. Compte les jours les heures, s’inquiète si elles tardent… se gronde de s’inquiéter. Mais impossible de faire autrement.
Puis un beau jour, les visites deviennent valses, tourbillon, au point que le grenier ne sait plus où donner de la tête. un immense coup de balai pour enlever la paille qui lui a si longtemps tenu compagnie. Puis, massue, ouvriers, échafaudage, perceuse, placo, clous, ponceuse…. Il ne savait même pas que tout cela existait. Mais si c’est pour renaître, servir à nouveau, retrouver des jeunes des vieux, des femmes des hommes … la vie, alors oui, je veux bien de ce remue ménage, se dit le grenier.
Cela a duré des mois. Le grenier ne se reconnaît plus, il entend les compliments, les remarques, se sent rajeunir, il voudrait bien un miroir pour s’admirer.
Fenêtres, escalier, portes, carrelage… tout y est passé, même son vieux plancher de pin a été poncé, remué, nettoyé, re-poncé, vernis au point de briller dans la nuit.
Et puis rien. Les visites s’espacent, et rien ne se passe. Angoisse du silence revenu. Les pas résonnent sur le carrelage nu. La grande pièce est vide. Etrangement vide. Pas de meubles, pas de bruits, pas de vie… Les murs attendent… tout est vide. Pourtant le ballet frénétique des ces derniers mois, l’incessante activité des ouvriers dans un remue ménage désordonné laissait penser que tout était urgent, sans attente, sans répit…
Alors grenier, patience, ne t’inquiète pas, tu t’es fait tellement beau pour nous que nous allons venir chez toi. Il faut juste attendre un peu… quelque peu… le temps administratif, dont on ne sait jamais très bien combien il dure.
Et le silence alors , s’éteindras pour toi…