Voeux

Et il y a toujours cette incertitude du matin
de ce que sera le jour, sa couleur, sa musique…
Quel souffle emportera le feuillage de nos peurs,
les entailles de nos doutes ?

Rien n’est écrit sur l’écorce creusée
juste la trace de la nuit sur les lèvres de son bois
juste le geste effréné des branches vers le jour
juste l’insolente mélopée des feuilles sous la brise.

Sous le couvert de l’aube, la danse des ombres inconnues
ouvrira nos voix, dessinera nos pas
comme le sifflement des nuages emportés par la sève.

Et dans sa course, la rivière portera une douceur
à la joie de nos rires, à nos mains enlacées,
à la lumière ajourée de nos silences,
aux accents acidulés, tenaces, cocasses aussi, de nos amitiés,
à la méticuleuse audace de nos tendresses,
à l’élan inestimable, improbable, imprévu de nos amours
encore et encore malgré tout!

Belle route au long de 2020….

Verrou rouillé

Comme un verrou qui s’ouvre.
Un verrou fermé depuis longtemps.
Un claquement puis un grincement et il se lève.
La porte verrouillée s’entrouvre doucement, très doucement.

Frissons de ces mains levées, paumes ouvertes. L’énergie immobile montant de la terre se faufile au creux des corps. Mes yeux fermés goûtent ce regard intérieur, dessinent mes membres, accueillent mes gestes. Et nous sommes là, bien là, mon corps et moi.

Lâcher le geste en mesure, sans mesures. Relier, délier chemin faisant, marcher comme une vague, une houle, lâcher, encore lâcher, pour arrêter de s’interdire.

Réveiller le rythme endormi, l’écouter, le traduire dans ma langue, celle de mes doigts, de mes bras, de ma peau, de toutes ces parcelles de moi sous cape au quotidien.

Quitter cette obscure exigence du résultat, de la performance mesurée à celle des autres. Offrir plutôt. A soi et aux autres, cette symphonie de gestes donnés, inventés.

Et alors ils osent rire. Les hanches sont le balancier du métronome, ce battement du corps à corps, et les mains flottent, les pieds glissent et le buste ploie.

Relâcher encore pour arriver à la rigueur du geste arrêté. Entrer dans le rythme déployé et laisser parler, le plaisir du corps qui raconte.

Chemin balisé

Quoi de plus détendant que de profiter de son dimanche pour aller, en famille si possible, dans un de ces immenses magasins ouverts désormais presqu’en permanence.

L’escalier roulant n’offre pas le choix. L’entrée est là. Et uniquement là. Et vous mène dans l’antre du loup. Adieu la lumière du jour, l’univers devient factice, les spots de rigueur et la normalité déplacée. Pourtant tout est fait pour donner l’illusion d’un semblant de chez soi.

Et les flèches vous guident, au sol, aux murs, en peinture, en lumière, en carrelage… sans échappatoires possibles. Alors chacun avance. Doux mélanges des genres. Tout âge et tous styles cohabitent ou s’ignorent superbement. Venir en tribu implique de gérer les curiosités de chacun ou de tous, c’est selon. Et si dans les premiers tournants du chemin, les humeurs sont bon enfant, au fil des pas, elles le deviennent moins.

Au rayon salon, ne pas résister à l’envie de s’asseoir, pour ne pas dire sauter dans chacun des sièges. Avec le risque de perdre le petit dernier en arrêt devant le mécanisme inlassable du fauteuil tapé par un bras vigoureusement obstiné. Ou de se faire tirer vingt fois par la manche, viens voir, viens voir, si… La tentation est à chaque pas, chaque tournant, chacun trouvant là, une raison de réclamer ce qu’il croit lui manquer. Mais est-ce bien raisonnable d’imaginer venir dans un monumental palais de l’achat sans acheter ?

Au rayon cuisine, les couples débattent. Prix, agencement, logiciel 3D, couleur de porte, taille des meubles aux noms imprononçables. Attente interminable, l’énervement guette. Et les mains se nouent moins amoureusement.

Le labyrinthe continue. Au rayon enfant, c’est l’éparpillement garanti. Sous les chapiteaux miniatures, les doigts coiffés de marionnettes multicolores, enfouis dans les tas de peluches chaleureuses. « Et s’ils ne reviennent pas, ils n’auront rien ! », le ton est péremptoire, déjà bien agacé. Les voix sont plus fortes, comme si la présence de jouets autorisait à se lâcher un peu plus.

Pourtant reste l’épreuve du libre-service et de son entrepôt, ultime piège à grande échelle avant les caisses. Réussir à en sortir sans à minima dix choses, toutes très raisonnables, et absolument utiles, relève du tour de force.

Après les étalages fournis, de la vaisselle aux ampoules en passant par les tapis, voilà la cathédrale finale, D’immenses colonnes, toutes chargées de cartons empilés, un labyrinthe de chiffres, d’étages, d’étiquettes, de chariots surchargés et des ultimes présentations de tentations possibles… Parasols, chaises, tables de jardin, étagères en promotion, édredons compressés, boite à outil de pacotille et plantes vertes égarées nourrissent ce décor surréaliste.

On y trouve d’étranges forçats poussant en s’arcboutant des chariots savamment orchestrés de paquets innombrables. D’autres errants cherchant sur leur feuille, la bonne référence, écrite sur la bonne étiquette, du bon étage dans la bonne allée. Seuls les enfants caracolant entre tout cela trouvent là une piste de poursuite ou de cache-cache très à leur goût, sans que cela soit forcément apprécié de ceux qui les accompagnent.

Le meilleur reste peut-être de payer, me direz-vous, car à ce moment-là, la sortie est proche et la délivrance aussi. Cela dépendra du montant de la note, de la longueur de la file à la caisse, puis du temps passé à attendre la commande 42-13, qui n’arrivera que dans 45 interminables minutes, puis enfin, rentrer tout cela dans la, ou les voitures, entre ce que vous avez oublié de vider du coffre, les siège-autos volumineux, et les achats peut-être plus dodus que prévu.

Au moins, vous êtes sortis. Et la sortie est finalement aussi bien indiquée que l’entrée, c’est déjà ça…

Ne riez pas, j’y étais aussi !