Petite

Petite, j’étais mendiante.

Personne ne le voyait. Je n’avais ni haillons ni sébille. Je gardais les yeux clairs. Mais, en secret, j’étais chercheuse de regards tremblants, cueilleuse des miettes tombées sur le sol qui ne m’étaient pas destinées. On peut croire qu’un coin secret recueille en nous l’amour. Qu’il s’y pose, repose et germe. Chez moi, il n’y en avait pas. Et je restais mendiante.

Petite j’étais gentille.

Enfin, c’était l’habit que l’on m’avait mis. Comme une identité calée, validée, estampillée. Je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait. Avant de parler, je crois que ce langage s’était imprimé en moi comme l’encre d’un verrou. Je conjuguais le mot gentille. Je gentille, je te gentille, je vous gentille, comme une direction. Je le craquais, le torturais, le dépeçais. A l’intérieur, parfois, naissait colère, rébellion, méchanceté. Mais je ne parlais pas ce langage-là.

Petite, je crois que je savais.

Des choses immobiles, silencieuses, transparentes. Que la course et le bruit des jours ne captaient plus. Elles étaient comme un ruban soyeux, brillant, doux à mes doigts, comme une source chantante glissant dans mon corps en délicieux frissons, en caresses intérieures, comme une lune entre les nuages épars. A la lumière intime, recueillie. Perçant la nuit imposante. Les autres me croyaient ailleurs et j’étais au cœur. Et je ne pouvais rien pour eux.

Petite, j’étais la petite.

Très petite, très princesse, très minou, très câlin. Jamais tout à fait assez grande pour atteindre le chocolat. Jamais assez petite pour se cacher de tous. Jamais assez seule pour crier ma joie. Jamais assez entourée de bras pour pleurer le vide. Jamais sûre que demain serait là. Ni moi non plus. Alors…

Et si…

Quand regarder votre enfance, c’est l’antre noire, sans lumière, sans filtres où rien de transparaît ne parle ni se tait.

C’est ça mon nom

Quand le vent balaie les rochers, transporte le sable, rugit votre peine, croque les vagues, lave la mer… et vous.

C’est ça mon nom

Si l’aube sort de sa torpeur et pose le jour en espoir, vous enveloppe de son sommeil évanoui, ronronne au coin du café.

C’est ça mon nom

Si cette main caressante, exploratrice, poignante glisse. Aux mots de votre peau. En un indéfini interminable. Sans autre langage que le plaisir

C’est ça mon nom.

Et si le brin d’herbe, l’épervier, les gravillons, Et si l’âtre gorgé de feu, Et si la terre grasse à mes mains, Et si le lézard immobile, Et si le bourgeon, l’abeille, la limace vorace, Et si le souffle du sol, la fermeté du ciel,

C’est ça mon nom.

Alors je reste.

A la manière de Charles Brautigan

Mon pays

Mon pays vente

Rafales de sanglots blonds que les rochers crachent
Rugissements de l’herbe égarée
Ce vent que je crie
Qui me hurle
Tâtonnement lucide de ma peine
Rien que ma solitude et le vent

Mon pays pleut

Et la pluie remplit la mer
La vide la trouble
Et la pluie brusque le sable
Le casse le raidit
Et la pluie cogne les cauchemars
Les oublis les peurs
Rien que mes pas et la pluie

Mon pays renaît

A la plainte du ressac
Au gras des rochers
A la lumière effeuillée que la baie invite sans relâche
L’aube comme une calligraphie
Comme un crépuscule que la brume oublie
Mon regard cueille cette fugue du ciel
Rien que l’inconnu et mon regard

Mon pays est rivage

Sans rien qui l’attache ou le noue
Juste un courant qui accoste
Des flots qui s’égrènent
Au gré du sable de mes pas

Mon pays est écho

Aux nuages échevelés que la pluie mange
A la lumière éclaboussée
par les coups sourds de la tempête
Comme au rythme de mon corps

Mon pays reste là

Juste là, Toujours
Sans moi ou avec ou
Contre
Au détour de la carte
Du récif
De la vague

Il m’existe

Lumière filtrée…

De la fenêtre, je vois que le taxi est là. Je lui fait signe. La rue est calme. C’est le matin.

Je descends chargée de ma grosse valise et de deux gros sacs. C’est le confinement à midi, je pars de chez moi, je ne sais pas pour combien de temps… J’ai regardé mon appartement d’un oeil neuf, un peu orphelin avant de fermer la porte. Vite, le taxi attend!

Étrange mouvement de ballet pour mettre tout cela dans le coffre du taxi sans se toucher. Ne pas trop s’approcher, respirer à distance, il a des gants pour prendre mes bagages. Même la voix est mesurée dans le dialogue comme si nos mots pouvaient être porteurs de virus ! Je vois au 4ème, la voisine qui regarde  mon départ. Elle a écarté ses rideaux. Va-t-elle me dénoncer? Mais de quoi en fait? On se sent coupable… sans raison.

J’ai une impression de fuite. C’est d’ailleurs peut-être cela que la voisine a pensé. Une fuite, une évasion, comme une tricherie. Ce que la fluidité du trafic sur Paris ce matin corrobore. Derniers instants de liberté. Les trottoirs sont vides, souvent. Les visages portent des masques. La succession de magasins fermés accentuent cette impression de malaise. On pourrait se croire un dimanche mais cela n’en est pas un.

Le bruit est différent. Moins de klaxons, d’énervement. Comme une suspension.

Dans la voix du chauffeur, je sens l’anxiété de demain. Comment va-t-il travailler ? Que va-t-il se passer ?

Le temps est gris. Le ciel bas. Comme en accord avec ce qui se trame, là, pour nous tous.

Malakoff, je suis arrivée. Personne dans la rue là aussi. Le ballet pour tout sortir du coffre sans se toucher recommence… « Au revoir. Bon courage » que faire d’autre que s’encourager ?

L’espace se confine. S’ouvre l’attente.

Pas ajourés

New York, composition 9
Oeuvre de Catherine van den Steen
http://catherinevandensteen.blogspot.com/

catherine

Pas ajourés
D’un reste de paroles
D’une ombre de solitude
D’une trace de regards perdus
Aux ombres absentes
De reflets sans illusions
De ce bruit qui résonne, encore

Marche ajourée
D’une sève ensanglantée
Au passage sans chemin
D’un homme
D’une femme
De celui que l’on traîne, en plus

Vie ajourée
D’une brise sans nom
D’une corde nouée
D’une boite vide
Du tronc creusé, vidé, blessé
Aux encres évaporées
De ce rien que l’absence crie, en boucle

Risques ajourés
Du jeu ténu
Du silence apporté
Du sol en lumière
Aux accents quotidiens
De ce demain qui murmure, enfin

Combat

L’aube se colore de l espoir du jour
Les nuages engrangent le feu éphémère
Parole de la violence du désir

Les mots de la nuit résonnent
De l’écho de la pièce vide
De l’urgence de la solitude acquise
Le crépuscule entre feu et loup
A ouvert un souffle inconnu.
Et il flamboie malgré le soir
Nourri des pépites de l’aube
Enroulant dans son sillage
Les balbutiements du jour.

Timide, furtive, elle rougeoie,
Son mur de glace brûle
A la douceur abyssale du regard attentif

L’aube a franchi le pas de la lumière
Affrontant les démons qui la hante
Le jour la transcende
Déployant les feux encore vierges.

En Flamme

Lourdes

Elles sont comme enfermées, sans gestes, sans chemin. Plantées par une main inconnue. Portées aussi par le fer qui les dresse. Traversées par cette mèche invisible, discrète et allumeuse. Gardiennes fragiles de secrets sans noms.

Messages sans mots, fondant de désirs ou d’espoirs démesurés.

Cet espoir, comme une vague qui, en flux et reflux, vient combattre mes doutes obstinés, mes lâchetés banales. Combats de fourmis en batailles silencieuses.

Raideurs fragiles et éphémères pointant vers le ciel, la flamme et la lumière de l’envie, de la patience. Je suis debout comme elles. Pourtant, je déteste la raideur. Celle sans oxygène, sans portes de sortie. Mon corps maladroit porte pourtant cette mèche malmenée de l’humain que je rallume sans cesse.

Un souffle de rage peut m’éteindre, un autre me courber un instant. Une tendresse imprévue me fera fondre un peu, redonnant une petite place à un amour, flambant neuf à chaque fois. Je dégouline de peur, parfois, je me creuse de la tristesse entrevue, de la rageuse impuissance sur laquelle je m’empale.

Pourtant, je me dresse obstinée et éphémère avec d’autres, comme moi, plantés sur la terre. Les flammes dansent en boucles inédites. C’est toujours neuf le bonheur qui fait danser, les rives qui se lâchent, les décors qui bougent. Vague de plaisir qui réveille le sable endormi.

Elles veillent dans la nuit, l’une plus fatiguée que l’autre, l’une plus tordue que l’autre, l’une plus grande que l’autre.

Peut-être que chacune est un de mes jours, un de mes espoirs, une de mes humeurs ? Je suis là dans la lumière fragile de ces bougies levées, partagée, fascinée, invitée, à ne jamais cesser de brûler.

Sans ménagement

Déménager, sans ménagement, sans repaires, sans douceur.
Gestes répétés, de début et de fin, de nuit et de jour.
Blesser l’espace et le temps d’un nouveau changement.

Le corps accède le premier à ces lumières nouvelles.
L’esprit hante encore l’histoire passée. Errant la nuit.
Captant aigrement les signaux de repos.

L’hôte est furtif. Le geste mécanique. L’espace ouvert.
Entrer dans le labeur qui reconstruit, bâtit et renouvelle
Sueur du poids, mécanique du rythme, gestes mesurés.
Qui suis-je ? L’espace qui m’habite ou celui que j’habite ?

Le carton git en forme informe sur le sol.
Blessé de colle vieillie, de coups de ciseaux impatients.
Sans destin, impropre, hors d’usage.

Les mains poussiéreuses portent le cadre endormi.
Naissance hors du long sommeil
Les clous résonnent, le marteau s’agite, le voilà au mur.

Et le présent est à nouveau habité.

Saveurs

Le soleil s’est uni au vent aujourd’hui.

Sous le flot doré, les feuilles dansent et s’enlacent. Tournées vers la chaude lumière, elles explosent et répondent amoureusement à l’insistante caresse. La chaleur pénétrante s’infiltre, comme un goût de naissance. Et la complicité du vent ôte toute pesanteur.

Mes yeux se ferment. Cette lumière qu’ils taisent à peine, glisse en moi comme un torrent. Douceur ambrée que le souffle hardi allège et embellit.

Les sous bois bruissent de saveurs et de notes. Vigueur affichée des verts multiples, palette innombrables de nuances subtiles, tailles, formes, du plus foncé au plus clair, chacun arborant fièrement sa force de printemps. Les fleurs timides, audacieuses, fébriles cherchent leur place. Cachées dans le tapis ourlé de lierre, dressées le long du chêne fragile en gerbes lumineuses ou groupées en troupe rassurantes d’une violine ardente, elles guettent ou goûtent elles aussi, l’instant vivant.

Au gré du chemin, le soleil se glisse furtivement, trompant la vigilance des arbres et de leur parure. Ils couvent avec bienveillance sols et chemins, petit peuple d’en bas ou d’en haut jamais en repos, terre en éveil. Là, les rayons écartent les branches, ouvrant au détour de mon regard, une oasis baignée d’or. Mon regard se lève et la joie du feuillage en danse et en musique nourrit mon être.

Au loin dans l’abîme du bois, au creux de la pente assombrie tinte le ruisseau. Sa source le lance. Dans sa course, il chantonne et glisse, saute et sonne, court et murmure. Il scintille, doucement, chemine, humblement, savourant comme moi, la grâce ajustée qu’apporte ce jour.

Aujourd’hui, le soleil s’est uni avec le vent…

 

Chemins de silence

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Porte fermée
Silence opaque
D’une prison assourdie
Parole scellée
De l’espace épuisé
J’étouffe

Brume ouatée
Au silence entrebâillé
Porte des songes ralentis
A la blancheur naissante
Je cueille

Violence du silence cru
Tourbillon au temps emballé
A la porte explosée
Éléments démontés
Je suis dépecée

Au loin
Tinte un nouveau-né
La porte tend l’oreille
Au souffle immobile
Je suis toute petite

Silence attentif
Porte ouverte des couleurs
Lumière offerte aux labours neufs
Terre germe de mots
J’engrange