Aube
J’avais envie de me lever seule en ce matin de voyage. Aussi, je t’ai laissé te préparer avant moi, guettant le bruit sec de la porte, en gardant les yeux clos. Seule. Avec la musique de bruits inconnus chatouillant mes oreilles.
Puis, je me lève, m’habille rapidement et me glisse dans les couloirs de l’hôtel. Dehors, le cloître médiéval est nimbé d’une chaleur fragile. L’aube a des accents dorés. Mes pas glissent sans bruit sur les pierres ancestrales. Une grande porte de bois cloutée me fait face, elle m’appelle. Je la pousse avec curiosité. Alors, le temps plonge. La chapelle que je découvre, respire la paix. Ses colonnes parlent de notes, de prières et de vie. Les voûtes résonnent de chants inconnus.
Mon corps se nourrit des chemins inscrits là. Instant arrêté, ouvert, bavard. Je savoure le décalage avec ma vie. Cet écart qui lui donne en cet instant, toute son ampleur.
Émotion
Aujourd’hui, c’est un jour culturel. Exposition d’une amie. Œuvres multiples, discours croisés, entrer dans une expo, c’est d’abord un flot. Une multitude. Puis au rythme des pas, c’est un engagement particulier, un dialogue plus intime.
C’est le troisième tableau de la série qui a ouvert le silence. Une rue qui part en tournant, un jeune garçon finement éclairé par un rayon famélique, une sorte de désert urbain qui crie solitude et misère. Et me voilà ailleurs.
Rien de ce qui m’entoure ne m’atteint plus. Mes pas foulent le bitume, cueillant la chaleur furtive. Le silence pesant de la rue explose en moi. Le jeune garçon abattu appelle ma main chaleureuse. Émotion gratuite qui s’échappe de toute obligation. Saveurs des couleurs, de l’équilibre, de la justesse. Echos de bruits imaginés. Une peinture qui me parle. Je l’écoute.
Départ…
La maladie est notre quotidien depuis quelques mois. Et si nous en parlons peu, elle a tout envahi. A coups d’odeurs de désinfectants, de roulements grinçants de brancards, de décomptes obstinés d’appareils de mesures ou de mots feutrés par les questions sans réponses. Toute notre vie s’y trouve maintenant engloutie.
Depuis quelques jours, tu vas moins bien. Tu dois porter le masque à oxygène de plus en plus souvent. Et je ne sais qui, de toi ou de moi, cherche le plus à cacher sa peur. Une sincérité affaiblie qui nous éloigne l’un de l’autre. Les mots sont posés, un peu vides. Les gestes mécaniques nous sauvent de l’instant.
Ce matin, je dois respirer fort, pour trouver la force de pousser la porte de ta chambre d’hôpital. Mon entrée discrète ne te réveille pas. Je vois au mouvement régulier du drap que ton sommeil est paisible. Je m’assieds sur le lit. Et je ne résiste pas à poser ma main sur la tienne.
Doucement tes yeux s’ouvrent. Les mots sont inutiles. Regards croisés qui portent autant de peur que d’amour, d’envies que de regrets, mais surtout une incroyable vérité de l’instant, née de nos fragilités dénudées.
Si tu dois partir, tu le peux. Tout a été dit.