Tendresse particulière…

Ce matin, je marche dans la grisaille parisienne. Attente au feu. La bretelle venant de la voie rapide vomit un flot incessant de voitures impatientes. L’air est gris de poussière, sursaturé de bruits de moteurs. Agression matinale banale.

Au vert, je traverse et entame le passage bétonné pour passer sous le périphérique.

Et là, au milieu, adossés au mur, quatre sacs de courses rouges, ventrus, pleins, tranchent l’espace.

Et là, au milieu, sur les sacs rouges, une jeune maman et son fils, assis, tout entiers absorbés l’un par l’autre.

Il a trois ans, au plus. Et il raconte, bavarde, explique. Sa main, accrochée à un biscuit voltige en tout sens. Les yeux de sa maman brillent de tendresse et d’écoute. Et son éclat de rire à la conclusion de l’histoire illumine l’ambiance.

Enfin, pour moi, là, dans ce matin gris. Car personne d’autre ne regarde cette maman assise avec son petit sous un périphérique hurlant. Vivre à la rue ne se regarde pas.

Alors jaillit en moi, le visage de mes deux petits fils, si proches en âge de ce petit-là. Ils profitent de la même tendresse et de la même écoute mais dans d’autres lieux tellement plus sereins.

Et je sais pourquoi je me bats avec d’autres pour que cela cesse.

Le temps des cousines

Caroline est arrivée aujourd’hui. Dans la grande maison de pierre, j’ai entendu son rire résonner jusque dans ma chambre. Vite, je descends les escaliers quatre à quatre, je lui saute au cou et je joins mon rire au sien.

Le temps des cousines est arrivé, le temps sans âge et étiré, le temps arrêté, rassemblé.

Avec Caroline, rien de bien commun en apparence. Pourtant, c’est elle que je préfère des trois cousines. Brune, un peu forte, explosive et chaleureuse, elle mène une vie originale et créative et moi, blonde, fine et réservée, inscrite dans un chemin nettement plus classique.Rien de commun en apparence.

Pourtant dans le couloir des souvenirs avec Caroline il y a la chambre des poupées.

D’interminables journées au chevet de nos « enfants », leur inventant milles tourments pour mieux les consoler, les cajoler, les soigner, … les commander. D’innombrables mises en scène de spectacles incompréhensibles, présentés à nos parents distraits, entre le café et le pousse-café, dans le grand salon, de la grande maison en pierre.

Puis la chambre des adolescentes.

L’humeur est aux couleurs, à la rébellion, aux questions. Nous rêvons d’ailleurs, d’autres contrées, d’autres mots, d’autres amours. Et le grand salon reste le lieu de nos revendications, de nos paroles ; que nos parents banalisent distraitement comme un nième spectacle des cousines.

Puis la chambre du voyage.

Lunettes fumées, rires qui couvent, insouciants baisers, chèches blancs autour du cou, le départ est donné. Avec Caroline et Sophie, c’est l’envolée des cousines vers le sable ouaté du désert. On est loin là de l’univers prévisible de la grande maison, des conseils angoissés des parents, des peurs sorties au grand jour, ou des airs distraits. C’est le premier départ, l’insouciant partir.

Et, dans le cœur du désert, dans le crissement discret du sable sous les chaussures, dans le silence habité de l’espace, dans le temps démesuré pas après pas, le déplacement partagé a fini de nouer un lien invisible entre nous.

L’indéfectible temps des cousines, tissé d’une chambre à l’autre dans le couloir des souvenirs.

 

Retour

Mes pas sont devenus grands
Mes yeux attendent d’un simple chemin
Une allée sans mesure

Jeux de reflets, jeux de rêves,
Reflets d’hier, rêve d’enfants.
Plus d’ombres, plus de feuillages,
L’arbre est tombé.

Et mon refuge est à ciel ouvert.

La grille ouverte
Dessine une route neuve.
Pas de loup, pas de deux,
Pas chassé, pas de doutes,
Le soleil devance le passé.
Vent debout, j’irai.