Digue

J’ai vu cet instant où l’âme ploie. Cet instant fragile où la digue du courage perd de sa vigueur. Où le mur des colères et de la peur se dresse par delà les remparts.

Je l’ai vu cet instant. Au creux du regard de Jade. Là, au milieu de la foule qui rit et qui danse insouciante. Le corps de Jade s’est raidi sous une poussée surgie des fonds cachés. Sa main s’est portée vers l’avant, comme pour saisir un mirage improbable.

Son geste s’est arrêté, suspendu.

Qu’a-t-elle vu qui bouscule l’équilibre? Qu’a-t-elle entendu que nul autre n’a perçu? Quelle douleur a surgi, rugi en elle?

Son visage  a balayé les silhouettes autour d’elle, sans leur donner corps. Errant par dessus le bruit et les voix. Cherchant une ancre, une bouée. Perdue dans une brume intérieure.

Son regard effleure le mien. S’accroche, se pose. Elle balbutie un pauvre sourire et sa main achève le chemin pour me faire signe.

Viens danser murmure-t-elle.

Ma main saisit la sienne et l’entraîne doucement.

C’est bon, souffle-t-elle.

Ployer n’est pas rompre.