Marbré

Le soleil darde ses rayons. Je sens s’insinuer en moi comme une rivière de douceur. C’est le matin. Il fait encore doux. Au zénith, le choc de la chaleur viendra me travailler. 

Voltera. Italie.

Je suis ancré au cœur de la carrière d’albâtre. Le creux de la colline s’élargit au fil des ans. On entend les coups qui l’entaillent. Parfois. Plutôt à l’aube. Plutôt en hiver. Parfois non, juste le vent. Je suis dans un coin peu visité. Un dévers de la roche me protège. Je n’ai pas forcément envie de partir ailleurs. Je suis bien. Et puis à côté de l’élégant pan d’albâtre immaculé, poli par le vent et la pluie, coulant de la paroi, mes marbrures grises sont comme triviales, brouillonnes, torturées presque.

Le soleil monte.

Je me réchauffe. Je goûte ces sensations de fusion, de force. Comme une renaissance intérieure.  Le nouveau bruit me surprend dans une fausse torpeur. Des pas, un marteau, des mains, une voix. Quoi sous ce poids écrasant du zénith ? Oui !

Son visage est comme un quête, son regard comme une sonde, ses mains une vision. Il tâte, examine, avance, recule, remonte, me touche. Je frémis. Il entreprend  de desceller, couper un bloc, lourd, massif dont je suis le cœur. Le sort en est jeté. Je pars

La route est longue. Chaotique aussi. Les vibrations de la route sont des ondes inconnues pour moi. Lourdes. Opaques. Si je n’étais pas aussi centenaire, si compact, le son sourd qui me traverse me séparerait de moi-même. Puis les airs dans des griffes acérées. Plus le silence d’une grange sur une palette. La porte se ferme. Plus rien. Où suis-je ?

L’homme est revenu, précédé de l’agaçant grincement de la lourde porte de bois. Ses cheveux fous l’auréole de passion. Tout vacille et bouge en lui. Le contraire de moi, pierre d’albâtre séculaire, dense, ferme. Et la danse commence. Me séparer de ma matrice à coups violents, sanguins, précis. J’ai froid.

Puis il me précise, m’attaque, me ponce, me caresse, me dessine, me pique, me raie, me met au jour. Je frissonne. Je ne sais plus très bien ce que je suis entre ses mains. Je découvre des méandres en moi, des courants, des histoires comme des fleuves intimes dévoilés après des années de falaise. J’essaie de sentir ce que je deviens. Plus solitaire, plus apprêté, plus neuf. Bien campé, debout, solide et affirmé. Finalement, je me sens bien. J’ai senti sa joie profonde dans sa caresse ultime, dans son pas lent autour de moi, son regard apaisé. 

J’ai quitté la grange, Le voyage a repris. J’étais moins surpris. Et puis j’étais protégé enveloppé. Quelle douceur !

Dans la véranda où je suis aujourd’hui, d’autres passent, m’effleurent du regard, m’agrippent ou me caressent. J’entends des voix : « C’est un livre, non ? »

Un livre ? comme ceux qui peuplent l’atelier de celui qui m’a façonné ? Un livre aux pages qui volent, qui s’exposent, qui tournent, couvertes de traces, de mots, de dessins. Mais je suis raide moi. Dur. Fermé. Mes pages ne volent pas, ne se dessinent pas, ne montrent rien. Enfin, d’emblée.

Je pressens que le trésor qui me marbre, me traverse et m’habite est celui de chacun ou de tous.

C’est selon.

Portrait 7

A la terrasse du café, Henri Schumm regardait la place du village déserte et se roula une cigarette. L’arrivée d’Elon Grosbla, un voyou notoire, le fit sursauter. Henri Schumm remarqua qu’il était moins négligé que d’ordinaire. Il lui demanda: « Auriez-vous du feu ? Non, allez chier. » Et Elon Grosbla entra à l’intérieur du café.

Debout à la terrasse déserte du café, Henri Schumm ressentit une bouffée de solitude devant la place vide. Machinalement, il prit une cigarette. L’arrivée d’Elon Grosbla le surprit dans ses pensées grises. Cet homme l’inquiétait comme toujours. Devant sa tenue propre, nette, il se sentit l’audace de lui demander du feu. Son rejet grossier et son regard furieux lui fit peur. Soulagé de le voir entrer dans le café sans s’occuper de sa question, Henri tira sur sa cigarette sans feu, avant de la remettre dans sa poche.

Sur le bord de la place déserte, Henri Schumm ruminait. Rien d’autre que le vide, cette angoisse noire qui ne le quittait plus.  Même la fuite ne lui apparaissait pas possible et pourtant, il en aurait tellement envie. Laisser derrière lui ces mensonges, ces cris. L’arrivée d’Elon Grosbla agit sur lui comme une décharge. Lui, si tôt le matin ! Et bien habillé ! C’était encore plus inquiétant. Sans  réfléchir, il lui demanda du feu. Mais pourquoi donc avait-t-il fait cela ? Il en trembla subitement. Heureusement, son refus violent ne s’accompagna que d’un regard noir. Rien d’autre, avant d’entrer dans le café. Henri Schumm soupira. Avec le sentiment d’avoir frôlé un nouveau drame.

Encore la place vide, encore lui, seul sur la terrasse du café, comme un pestiféré. Henri Schumm ne put réprimer l’angoisse qui l’envahissait, encore. D’avoir été victime dans le drame qui avait secoué tout le village. D’avoir été accusé à tort. Il n’avait jamais compris d’où venaient les cris. Comment toute maison fermée quelqu’un avait pu rentrer. Nulles traces. Et lui dans la pièce à côté. L’arrivée d’Elon Grosbla l’électrisa. L’instinct qui le poussa à l’interpeller tenait de l’énergie du désespoir. La marque de l’injustice. Comme pour savoir enfin. La réponse grossière d’Elon Grosbla, son regard de feu, sans déferlement de violence, portait une retenue improbable. Et en le regardant entrer dans le café, Henri sut. Cela lui suffit. Il alluma sa cigarette.

Portrait 6

Dans un des cafés de la rue de Bagnolet, où j’allais, avant, me poser pour boire un verre et écrire, je voyais souvent une jeune femme. La petite quarantaine, les cheveux très courts, teints en blond un peu électrique. Au bar. Lisant ou non. Perchée sur son tabouret.

Je lui laisse la parole.

Mon zinc me manque. Comptoir de bois lissé, formica vintage, sous le zinc protecteur. L’éponge glissée, et encore glissée, les verres mille fois posés, raclés même, le tintement assourdi des couverts, et l’éponge revient à nouveau. Pas de vieillerie mais juste un peu d’âge. Une habile modernité sur un décor plus ancien. Et une musique de 33t qui flotte dans l’air. Ici le temps reste serein, même si les patrons s’activent. Il y a toujours une place pour une pause.

Alors j’étais là tous les soirs, mes jambes cognant le bar, le tabouret un peu haut oscillant sur le sol inégal. Oh légèrement. Comme une petit danse avec le carrelage indécis. J’ai une petite vigilance malgré tout. Je suis tombée une fois… sans gravité. L’occasion d’un rire.

Être au bar c’est un peu quitte ou double. On échange quelques mots avec le patron, on lit des magazines qui trainent, avec le faisceau de regards qui vous chatouillent imperceptiblement. Il y a les « autres du bar », debout ou sur un autre tabouret, les habitués de la même heure avec lesquels on échange un peu, même si on ne sait rien d’eux, les inconnus qui évitent de vous regarder. Et ceux qui sont seuls sur leur table, par envie de solitude ou par timidité. Etonnant isolement que d’être seul dans cet espace bruissant ou bruyant, selon les jours. Ce bar est à deux pas de chez moi. Mon immeuble est une quinzaine de numéros plus haut dans la rue. Je m’y pose tous les soirs, en rentrant du travail. Avide de ce petit cocon intime et peuplé. Habité de nos petits riens de vie, nos arrêts, nos départs. Même discrètement, ils s’immiscent ici. Sorte de halte dans la randonnée, pause fraîcheur, repos près de la source, force pour la suite du jour.

Mon zinc me manque, avec sa porte battant à chaque entrée et sortie. Il me manque. Ils me manquent les autres, croisés là, et ce tricotage discret de nos chemins au coin du formica. Quand Simon claque la porte pour partir à l’école, il y a le silence de l’appartement, le froid de l’ordinateur, et sa lumière bleue. Il y a le bruit anonyme de la rue. Il y a le tintement de ma tasse de café que je repose sur la table. Et cela ne ressemble à rien d’autre qu’à l’absence, au vide, au manque. A l’usure du télétravail.

Je n’en peux plus de cet écho assourdi de la vie, de mes rideaux fermés à 18h,  de mes murs comme une cellule, de tous ces lieux clos, abandonnés, souffrants. La vie n’est pas la vie si je dois vous éviter. M’absenter de vous, creuse la mort en moi, m’abîme, me lézarde. Réveille-en moi ces rêves noirs aux poignards intimes, ces envies de tout lâcher.

Simon me sauve et me perd à la fois. Je me lève, me redresse, brode les bouts de jours pour lui. Ensemble, c’est un fil d’amour discret, maladroit. Cela n’empêche ni l’agacement, ni l’usure, ni le trop plein. Sans éteindre la tendresse. Mais quand Simon part chez son père, c’est bien autre chose qui colore l’absence. L’angoisse. Diffuse, souterraine, accentuée par les freins de Simon à devoir y aller. Son visage se ferme au départ, sa tension est palpable quand il revient, son silence est têtu. Rien ne filtre de ce qu’il s’y passe. Je n’y peux rien. Le temps se raidit encore en son absence, glace les minutes et les heures. Comme si le confinement ne le faisait pas déjà suffisamment. Encore trois jours avant son retour….

Dans un accès fébrile, j’empoigne mon manteau, attrape quelques sous dans mon portefeuille, mes clés, un masque, mon téléphone et je sors en claquant la porte. Je veux au moins prendre un café, servi dehors, debout, dans la rue en battant le pavé dans le froid. En espérant juste que je n’y serai pas seule.

La forme accroupie dans l’ombre du palier me surprend. Simon. Le visage dur. Le corps en nœud. Je sursaute. Son regard me cueille. Il se jette dans mes bras. Tremble. Ne rien dire. Surtout ne rien dire. Pas tout de suite. Même si une tempête de questions me submergent. Mais depuis combien de temps est-il là ? Simon contre moi, je rouvre la porte. Je referme la porte. Ensemble. Seuls. A cet instant, mon téléphone vibre dans ma poche.

Mon zinc me manque.

Portrait 5

Déroutée

Sur l’autoroute embouteillée près de paris, une golf vieillissante, immatriculée dans les Vosges est près de nous. Une jeune femme africaine au volant. Son foulard coloré emprisonne ses cheveux, de grands cercles dorés oscillent à ses oreilles. Avec son visage très maquillé, ses cils savamment ourlés de noir, elle a un air d’une diseuse de bonne aventure, d’une gitane. Un bout de sa robe noire est coincée dans la portière conducteur et flotte au vent. Je lui laisse la parole.

Evidemment je vais être en retard. Ces bouchons autour de Paris sont un enfer. On avance à pas d’homme, c’est tout bonnement infernal… Onze heure quinze, déjà un quart d’heure de retard ! Et cette vieille cage tremble de partout, les vitesses craquent, le moteur tousse de temps en temps. J’espère qu’elle ne va pas me claquer entre les doigts. Ce serait le comble.

Ce rendez-vous je l’attends depuis si longtemps, ou plutôt je ne l’attendais plus vraiment. Comme ces espoirs que l’on traîne sans fin. Qui s’étirent. Et finissent par s’éteindre. On a sursauté tant de fois à la sonnerie du téléphone ou au carillon de la porte dans le vide, épié les lettres au courrier en vain.  Alors pour survivre, on l’enferme on ne sait où. Mais plutôt loin, très loin…

J’ai bien essayé, au début, de lancer une ou l’autre bouteille à la mer vers toi, quelques messages, quelques appels. Sans retours. Il y a si longtemps. Je serais incapable d’en donner la date. Rien d’autre que le silence en écho. Ce silence. Ton silence. Qui continue encore et encore. La bouteille s’est-elle brisée sur un rocher ? L’as-tu explosée toi-même de rage, de dépit, d’indifférence ? De mépris peut-être ? Quel chemin a-t-elle parcouru ? Le saurais-je un jour ?

La file des autos se traîne… La radio grésille les nouvelles. Je n’écoute rien. Qu’importe. Une seule chose m’habite. M’attends-tu vraiment ?

J’aimerais être ce que je parais. Quelqu’un qui lit l’avenir. Ooh certes, je joue à cela avec des crédules que ma beauté et ma voix de rocaille enveloppent. Des gestes mesurés, un regard de velours et dans la pénombre d’une pièce aux accents africains, je fais merveille ! Mais quelle foutaise, quelle tromperie ! Je ne vois rien et  je ne sais rien. Comme nous tous.

Pourtant, tu m’as donné rendez-vous. Je l’ai découvert il y a 3 jours. Une lettre chez ma mère (comment aurais-tu mon adresse !).  Sans fioritures (ça te ressemble !). 24 mai, 11h et une adresse à Bondy. Rien d’autre. Ah si… ta signature. Depuis, tous les scénarios ont défilé dans ma tête, suscitant toutes les variations possibles d’émotions…

Et malgré tout, ce silence, ton silence… Depuis combien de temps ? 20 ans ? Oui 20 ans, c’est ça ! J’avais 15 ans quand tu as disparu de ma vie. Sur le coup d’une dispute un peu plus appuyée que d’habitude avec ma mère. Tu es parti et jamais revenu. Le temps a une autre couleur à ces moments-là. C’est une porte qui claque de plus. Un silence mêlé de pleurs de plus. Un pincement intérieur, un agacement, puis un soulagement. Une légèreté d’ado un peu égocentrique.

Pendant longtemps, je n’ai pas cru à ton silence. Ma mère mentait… elle me punissait de mes explosions adolescentes. Tu ne pouvais pas faire ça ! Toi si chaleureux et tendre. Même fantasque et original, tu ne pouvais pas m’abandonner. Et puis le temps a passé, les mois, les années et toutes les nuances de sentiments m’ont habitées du plus triste au plus vengeur. Je t’ai injurié, diminué, méprisé. J’ai pleuré, soupiré, hurlé.  Enfin, un jour, j’ai arrêté d’attendre.

Je vais être en retard, bien plus que je ne l’imaginais. Bientôt midi. Je vais peut-être te rater avec ces foutus embouteillages. Et j’enrage, je bouillonne, je fulmine….

C’est étrange d’aller à un rendez-vous dont je ne sais rien. Que vas-tu me dire ? Que vais-je te dire ? Je ne sais pas. Je crois qu’avant les mots, j’aurais envie d’un regard. Un regard d’attente, un regard d’invitation, même minime. Un regard sans murs. Les mots peuvent être si étroits, si pauvres dans ces instants. Et je ne sais plus rien de toi. Quel homme es-tu aujourd’hui ? As-tu gardé cette allure élancée et élégante, ces cheveux bouclés foisonnants ? Es-tu en couple à nouveau ? Es-tu toujours musicien ? Et ce rire dans tes yeux ? … Peut-être es-tu père à nouveau ? Pour d’autres, à défaut d’être resté le mien.

Mais cela va-t-il avancer, oui ?

Je n’en peux plus. L’angoisse monte. Elle me serre. Je ne veux pas te rater. Ce n’est pas possible. Je ne veux pas. C’est insupportable. J’essaie de me calmer. De respirer. Impossible. Je fais taire la radio d’un geste rageur.

Je ne croyais pas que ton absence était si présente en moi, coffre inviolé de mes secrets silencieux. Mutisme aigu, un peu aigri aussi, que je croyais apaisé. Mais non… Me reviennent en vagues des images passées. Je sens tes bras autour de moi, ta tendresse tranquille. Je revois ces instants de musique où tu me laissais danser à l’envi même à l’heure du coucher. Je revis ces cache-cache frénétiques que rien n’arrêtait, ni les piles de linge propre, ni l’ordre des cageots dans la réserve, les valises et cartons dans le grenier ou les draps sagement tirés de nos lits.  Ce pas de côté permanent que tu avais avec moi, dans les faits et dans les mots, qui mettait ma mère en fureur. Elle te traitait d’enfant attardé, de puéril, d’irresponsable… Moi j’aimais bien que tu sois tout cela avec moi, complice de mon enfance.

Je dépasse un accident. Lentement. Une voiture écrasée contre un poids lourd, comme un chiffon. Je frissonne. Une nausée monte. Est-ce ça que tu as fait de mon enfance avec ton silence et ton absence? Un chiffon froissé ?  … De la voiture en piteux état, les pompiers sortent une femme, vivante, ses yeux ouverts laissant couler des larmes… Pleurs de douleur, de peur rétrospective, d’incrédulité d’encore être en vie ?

Je frissonne, je suis cette femme. Je sors de mon passé mutilé, je suis fragile, blessée, en larmes, un peu perdue mais je suis vivante. Je suis tellement heureuse de te retrouver. Enfin. Chaque tour de roue, chaque respiration me rapproche de toi. Un explosion incroyable et soudaine de joie et d’espoir m’inonde, balayant l’angoisse, la peur et les questions…

L’heure sur le cadran me saute au visage. Midi et quart. J’ai une heure et quart de retard. Et cela se débloque enfin. Le flot de voitures reprend plus d’aisance une fois passé l’accident. Et plus je m’approche, plus ton image s’éclaircit. Etrangement, ta voix résonne à nouveau en moi, tes bras m’entourent, ta tendresse envahit l’habitacle. C’est très doux, autant qu’inattendu.

18, rue de la forge aux loups, à Bondy. J’y suis. Je gare la voiture. J’arrache mon sac. Mes clés. Pas de manteau. Je claque la porte. Je cours. Je sonne. Le cœur battant. Le souffle court.Des pas approchent. Une femme âgée tire la porte.

– Emilie ?

– Oui

– Je suis Jacqueline, sa mère. Suivez-moi.

Sa mère. Il avait une mère ? Bien sûr… Tout le monde a une mère mais pourquoi ne l’avais-je jamais rencontrée ? Je ne m’attarde pas. Je la suis. Le couloir est un peu sombre. L’escalier craque.  L’espace est confiné. Aux abords de la chambre, elle se retourne et murmure d’une voix étouffée.

– Il t’a attendu. Il t’a appelée. « Emilie,… » Ces derniers mots !

Et elle ajoute dans un sanglot :

– Mais il est parti. Il est … mort. A midi… enfin, un peu après.

Je suis anéantie. Trop tard. Je suis arrivée trop tard. Devant mon corps effondré, la femme m’enveloppe de ses bras.

– Il a laissé un paquet pour toi, chuchote-t-elle.

Le silence résonne. Ponctué de nos respirations, de nos larmes.

Alors, j’aspire d’un coup. Je me redresse, me dégage de ses bras et souffle fermement :

– Je ne veux pas rentrer dans la chambre. Je ne veux pas le voir. Je veux garder mes images intérieures. D’enfance et de joie.  De vie. Je ne veux rien changer.

Et sans attendre, je prends le paquet, dévale l’escalier, cours à ma voiture, et je m’effondre contre elle. Les larmes m’aveuglent. Et je comprends…

Midi et quart. Ta vie a jailli en moi à cet instant précis. Il n’y a pas de hasard.

Portrait 4

Dans une fête récemment, j’ai croisé un couple dont la discordance m’a touché. Lui, bel homme aux cheveux noirs dans la représentation étudiée et elle, jolie et fine blonde un peu perdue le regard triste… Je lui laisse la parole.

J’avance doucement dans le grand parc éclairé. Timidement. Je ne suis pas une habituée de ces fêtes immenses où le champagne coule à flot, les regards se perdent en musique. Les codes ne sont pas les miens.
Je suis là pour toi. Pour te retrouver, te suivre, essayer de te garder. Tu as fondu devant mon innocente blondeur, j’ai été rejointe par ta vigueur contrôlée. Cette attention aigue, presqu’aux aguets de tout et de tous. Ce regard aiguisé, jamais au repos. J’ai été électrisée, bousculée, esclave. Et j’ai mis mes pas dans les tiens.
Je te vois sur le perron, j’assouplis mon pas inconsciemment, je chaloupe, je danse. Ton regard m’accroche, tu souris mais je sens comme une absence, une attente aussi. Tu as mis entre nous un imperceptible filtre. Que veux-tu de moi ce soir ?
La soirée a coulé. Impavide. Aux couleurs commandées. J’ai senti ta détente progressive. A l’inverse de mon plaisir. Je me perds dans ces fêtes sous commande de celui qui paie. Aux bulles prévisibles et jeux de dupes. Même les rires semblent prévus. Et dans celle-ci comme dans les autres, je m’y suis noyée. Mais j’ai tenté de le masquer le mieux possible, apportant à tes côtés ma contribution la plus attentive. Jouée.
J’ai dû y réussir mieux que je ne le pensais. Car ton salut de départ à nos hôtes a claqué comme une victoire. J’étais donc un valable faire-valoir ? Dans l’allée flamboyante, au retour, nos pas n’avaient pas le même écho. Peu de mots en commun. Si peu. Et la franchise de ton regard comme évaporée.
Où es-tu donc ? Avons-nous été ensemble ce soir ?

Portrait 3

C’est devant une peinture de la vie rurale avec des enfants dans les champs que cette idée de portrait m’est venue…

« Attention ! Si tu ne reviens pas de suite près de moi, tu vas voir ! Je compte jusqu’à 5 … 1… 2… 3… ». Cela allait rarement plus loin. Ma frayeur de petite fille ne supportait pas l’idée de ce qui pouvait arriver. Ma mère ne l’a jamais précisé, je ne l’ai jamais demandé. Je l’ai largement imaginé. Mes cauchemars nocturnes portaient la trace d’abandons dans de grandes maisons vides, de places envahies d’une foule étouffante, de poignes violentes m’emportant loin de chez moi, de voix perdues dans le vent sifflant … et plus d’échos, pas d’échos, aucuns échos. Si ce n’est celui de la colère de ma mère si mon lit se mouillait de ces peurs nocturnes.

J’ai 7 ans et la vie n’est pas douce. Ma mère a peu de temps pour se soucier de ce qui m’envahit la tête. Elle s’agace de mes sursauts face à des visages inconnus, de mes réticences à partir loin au fond de la cour si le noir l’envahit, de refuser de rester seule pour vendre les œufs au marché du bourg le vendredi matin. Rien ne la dévie pas de sa route obstinée pour tenter d’assurer le quotidien. On ne s’écoute pas. Alors on n’a pas le temps d’écouter les autres.

Je suis la 5eme enfant de la famille. Frêle fille après 4 gars bien bâtis, bien bruyants, bien utiles. Le simple fait d’être une fille gêne mon père qui pense déjà au coût de la dot. Gênée, ma mère l’est aussi. Sans doute voit-elle en moi comme un miroir de cette histoire qui recommence sans fin. Le mépris d’être quantité négligeable, le poids des journées à servir, l’amer du plaisir raboté, le fer des hommes qui dominent et possèdent … et ce labeur incessant.
En ce matin d’hiver, je pars pour la première fois vers l’école. Mes frères y vont, quand la ferme ne les retient pas. Que je vienne ou pas leur importe peu, pourvu qu’ils ne doivent pas se soucier de moi. La lourde table de la cuisine portent les bols de lait fumant. Debout, face au feu encore timide, j’essaie de tout boire sans me bruler tout en fourrant dans le sac de toile que j’ai autour du cou, deux morceaux de pain, un peu de lard et deux pommes toutes ridées. Ce sera tout pour la journée.

L’école est à 5 kms dans le village d’à côté et je sais que je vais devoir me débrouiller seule dans l’ombre encore lourde du matin. Pas question pour mes frères de s’encombrer d’un haricot mal poussé, comme ils m’appellent. Alors je respire fort, je serre mes petits poings, noue fermement mon cache-col et franchit la porte. Un dernier coup d’œil en arrière et je cueille un improbable et précieux sourire de ma mère avant qu’elle ne détourne vivement la tête. Douceur volée.

L’ombre de la cour de la ferme m’est encore familière mais celle du chemin creux bordé des grands arbres est celle que je redoute. Quels langages parlent-ils ? Se nourrissent-ils de petites filles égarées ? Le vent est-il mon complice ou mon combattant ? Je n’en sais rien. Je sais juste une chose. Au bout de ce long chemin sombre, il y a ce que je désire tant… l’école. Cette jeune femme entrevue dans la cuisine de la ferme pour convaincre mon père de libérer mes frères un peu plus souvent du travail pour y être présents, m’a ébloui. Ce mélange de douceur et d’audace face à la rigueur rude de mon père, une voix respectueuse mais ferme, un regard droit, qui m’électrise quand j’entre dans la pièce. Et surtout, l’improbable respect de mon père, comme une quasi déférence que je ne lui ai jamais vue.

Je n’ai pas compris tous les mots. Juste cet appel à apprendre, à entrer dans un univers neuf. Entrer dans ce mystère que quelques-uns seulement percent. Apprendre pour ne pas avoir ce regard perdu, humilié de confier la lecture des lettres ou papiers à d’autres. Je veux cette victoire-là que mes frères raillent par pudeur ou malaise. Je veux échapper à tous ces poids que je sens sans pouvoir les nommer.

La nuit toute proche de l’aube m’enveloppe. Mes sabots font leur musique à eux, dans la boue, dans l’herbe mouillée, butant sur les cailloux… Mes pas résonnent dans la pénombre. Je chantonne doucement pour me donner du courage. La ritournelle que la vieille Marie chante aux veillées. Et tout le monde balance, épaules soudées, ondulant autour de la grande salle de la ferme. Je m’échappe toujours loin de mes frères et de ma mère pour savourer et rester le plus tard possible. La vieille Marie chante mais elle raconte aussi les histoires. Sa voix est comme une rivière, elle charrie le vent, le bruit du marché, la carriole qui passe… tout y est ! Un monde complet. Mon cœur bat, gonflé d’un bonheur intense en ces moments-là.

Alors j’essaie de me raconter ces histoires à nouveau. Je mets un mot à chaque pas. D’abord l’histoire du cheminot égaré jusqu’à notre village. Tous les tours un peu pendables que les villageois lui ont joué sous leurs airs bienveillants. On n’est pas admis ici comme ça. Celle de l’écureuil qui parle pour effrayer le gros Louis toujours un peu malhonnête. Sa course précipitée dans les bois pour échapper à cette voix qui sort d’on ne sait où, me fait toujours tellement rire. Celle de la conteuse en habits noirs. Menant son errance de villages en villages. La voix éraillée portant des histoires sombres, lentes, graves, aux escaliers grinçants et aux cœurs battants. Monter vers la paillasse au grenier à la fin de l‘histoire prend alors des allures d’audace farouche.

Mes pas rythme ma rêverie. J’ai un peu oublié où je suis, où je vais. Le chemin se rétrécit un peu, les grands arbres courbés sur ma marche. Ils forment maintenant un tunnel protecteur. Et là, plus loin, au-delà du petit goulot de feuillage, une faible lueur pointe. L’école. En lisière du village voisin. A la musique de mes sabots dans le chemin vient se joindre en sourdine grandissante, les voix des enfants. L’heure est encore au lait chaud près du poêle. Je suis à l’heure. J’y suis arrivée. Je suis là. Mon premier jour.

L’odeur du bois enflammé me cueille à l’entrée, les regards me jaugent, mes frères ricanent et une douce voix me rejoint :
– Pose tes sabots, là, sous le porte manteau, et viens nous rejoindre près du feu, ordonne la maîtresse, c’est bien, tu es à l’heure. Tu n’as pas traîné en chemin.
Puis après un silence elle ajoute :
– Nous allons attendre encore un peu les filles Duchemin, les deux nouveaux élèves de Fleuveur. Si dans un quart d’heure ils ne sont pas là, nous nous mettrons au travail sans eux.

OOh ce premier jour aux allures de nouveau monde, cette première lettre tracée à la plume comme une histoire, cette première poésie récitée sous le feu des regards de tous, ce premier mot admiré par la maîtresse, cette première phrase. Et le premier livre emporté à la maison lu dans le noir de la soupente à la bougie. La première lettre déchiffrée pour mon père. Le premier regard de respect des hommes de la maison. Le premier encouragement de ma mère, en sourdine, quand nous sommes seules. Rien n’a jamais terni la vigueur de cet élan neuf. Aucune embûche, aucun frein de mon père, aucune marche pénible et longue, aucun « mais mademoiselle vous n’y pensez pas ! ».
Je n’ai presque plus jamais entendu ma mère me menacer en comptant jusqu’à 5. En franchissant cette nuit de quelques kilomètres sans broncher, sa timide et fragile petite fille soudainement si déterminée, a forcé son respect et son admiration, je crois.

Ce matin, j’ouvre pour la première fois, la porte de l’école du village. Comme maîtresse cette fois-ci. Je bourre le poêle de bois, je frotte les bancs de bois, je pose cahiers, crayons, livres pour chacun.
Je sais que je suis prête bien trop tôt. Mes petits ne seront là que dans une heure. Mais l’excitation m’a tenue éveillée. Comme une arrivée au port. J’y suis.

portrait 2

Dans une petite gare de province, je rentre vers Paris. Nous sommes 4 à monter dans le train. Une femme en descend près de 40 ans. Je croise son regard à la fois apeuré et déterminé. Je monte dans le train et je la vois immobile sur le quai. Le train démarre, je lui laisse la parole! 

Entre brume paresseuse et givre précoce, cette fin de journée hésite entre automne et hiver. Incertitude paisible. Campagne engourdie. Pourquoi bousculer tout le monde quand le jour finissant éclate de cette douceur originelle. Sa caresse réveille les feuilles rougeoyantes. Les herbes s’étonnent de ce givre. Faut-il déjà s’écarter du jour orange pour l’engourdissement de l’hiver ?
Je regarde ce roman qui s’écrit sans moi par la fenêtre du train. Seule dans le wagon, j’ai mis mes écouteurs. Musique en échappée salvatrice, complice. Je frissonne en sortant du train. Quai quasi désert à cette heure. La petite gare semble perdue. Le hameau éteint. La campagne proche quasi vorace. Hésitation du soir qui arrive. Hésitation du jour en déclin. Hésitation de tout mon corps.
Personne n’est descendu avec moi. Trois sont montés. Peu d’inconnues s’arrêtent dans cette mini bourgade. Surtout le soir. Quelques pas vers la sortie. Je passe la petite barrière verte. Elle grince sous ma main. Comme un bonjour étriqué. Comme ma respiration étroite. Vais-je y arriver ? Il y a si longtemps que je ne suis pas venue. Vais-je y arriver ? La question me brûle. Cette sempiternelle question brouille toutes les ondes. Déconstruit les avancées. Mon Dieu j’en suis encore là ?

La bataille a commencé il y a bien longtemps. Lent grignotage de ma volonté, de ma maîtrise, de mon aisance. Une lassitude qui s’infiltre insidieusement. Le sommeil de plus en plus incertain, haché. Les matins alourdis. Ma sensibilité exacerbée. Plus de force pour ne pas me laisser blesser par les mots, les regards. Et la culpabilité de ne pas surmonter cela. Me remettre au travail, ou relativiser ce qui vient de se passer, devient un combat. Ooh, pas immédiatement ! Il a fallu des mois et des mois. Rien de réellement sensible au début. Comme une ombre que je balaie. Cela va passer. J’en parle au début. Puis cela revient trop souvent, je finis par me taire. Et si au début, je n’y accorde aucune importance, bientôt je ne peux plus ni l’éviter ni l’ignorer ni m’en échapper. Et la seule responsable, c’est moi, évidemment ! Qui d’autre cela pourrait-il être ?

Regard circulaire sur la place. Immobilité des lieux, de l’air. Je sais bien que je dois prendre l’étroite rue de droite. Rien n’a vraiment changé. La maison aux volets rouge qui fait l’angle de la rue a toujours ce petit air de veilleur, de refuge. J’imagine que Madame Courichon n’y habite plus, voire n’est plus de ce monde. Elle me semblait vieille. Mais que sait-on avec nos yeux d’enfant ? Si ce n’est une sorte de mise aux normes rassurante. Il y a comme une chambre d’écho. Ampleur de mes pas, chant de ma valise sur les pavés de la rue. J’avance doucement et mon esprit bouillonne. Que vais-je dire ? Qui va être là ? Je n’ai pas prévenu évidemment. Amélie vit toujours dans la maison. Je le sais. Elle n’a jamais pu s’éloigner. Notre anniversaire à deux jours d’intervalle en début d’été, nous a valu de souffler souvent nos bougies ensemble. Oh ce regard par-dessus les petites flammes pour commencer à souffler ensemble ? Unité de sourire, de plaisir, d’attente, de complicité.
Amélie a toujours eu cette grâce un peu fauve des longues filles brunes. Un mouvement léger des hanches, ce port de tête élégant, un rien distant, et le pas aussi fluide qu’énigmatique. Ma blondeur un peu voluptueuse me paraissait tout à coup épaisse, lourde quand elle n’était que douceur. Rien d’écrit dans notre plaisir à être ensemble. Une forme d’évidence.
Comment cette harmonie complice a-t-elle pu se transformer à ce point ? Un mur de silence, têtu. De tant d’années. Et je me suis enfuie sans comprendre. A l’âge de la jeunesse les projets prennent le pas sur les petits clous du passé. Même s’ils sont dans la chaussure, on avance sans vraiment les sentir. J’ai cru que j’avais balayé tout cela. J’ai cru…

J’ai tout fait pour éviter la reddition. Où ce que je ressentais comme tel. J’ai été au bout de la négation de moi-même, de ces angoisses d’être démasquée, au bout de la fatigue, de l’épuisement, de l’obstination aveugle. Ce lent épuisement de ce qui fait tenir debout. Cette culpabilité sans objet comme une brume de la conscience. Et doucement, inexorablement, au-delà de ma volonté incantatoire, je suis tombée. Et cela m’a fait encore plus peur que de tituber.
Avec le silence ouaté pire que les cauchemars au cœur des nuits blanches. Le silence de soi à soi. Que pourrait-on encore se dire que l’on ne s’est déjà dit ? Le silence de soi à ses proches. Leur regard navré, leur soutien est presqu’une salve de plus. Le silence des collègues. Le mur des silences à la résonnance violente. La seule que l’on imprime encore.

De marcher dans ces rues rallume tous ces jours de vacances, de familles, de galopades, de rivières caillouteuses, de secrets, de douceur. Les enfants face au bloc un peu mystérieux et hermétique des adultes. Je crois qu’ici j’ai appris le sens du mot liberté. Regardait-on ce que nous faisions ? Où nous bâtissions cabanes, bêtises, rivalités, jeux interminables ? Le sésame était de revenir à temps pour les repas, d’effacer les traces noirâtres sur les genoux, tirer le chemisier ou la robe, passer une main hâtive dans les cheveux en broussaille, et penser à se laver les mains. La règle des bonnes manières dans la maison était le passeport pour ne pas être inquiété pour le reste. Le sauve-conduit pour toutes les explorations.
Amélie avait toujours des audaces que nous n’avions pas imaginées. Elle poussait toujours l’aventure un peu plus loin que nous. Comme un défi. Comme un feu. Sous ces airs extrêmement sages, elle réussissait toujours à nous bousculer, sans toujours réussir à nous faire sortir de nos codes. Notre petite bande en était impactée de manière diverse. Les trois garçons une peu plus jeunes que nous savourait le fait d’être admis par les filles, plus âgées de surcroit et s’en tenaient là. Les trois amies du village, elles, ne se posaient sans doute pas autant de questions que moi.
Je la revois encore s’aventurer droite, longiligne, d’un pas régulier dans le jardin interdit de notre sombre voisin. Réussir à se glisser dans la maison. Et garder le secret le plus absolu de ce qu’elle avait vu ou entendu. Notre refus de l’accompagner avait un prix. Celui de l’exclusion. Et moi, j’étais incapable de la suivre. Même si cette exclusion teintée de vague condescendance me faisait mal. Jamais elle n’en a dit quoi que soit mais certains silences sont tellement féroces. Je les ai entendus comme tel en tout cas.

J’ai refusé d’abord l’arrêt de travail. De cette peur viscérale de perdre mon gagne-pain. Puis j’ai transigé avec deux semaines, couplée à deux semaines de vacances. Pauvre compromis de bête traquée. J’ai sombré en réunion devant tous, plus d’échappatoires possibles. J’étais cernée. Longue table comble pour une intervention attendue. Plus de souffle, plus de regard, plus de voix, plus de corps… Malaise en direct. J’ai eu le sentiment de disparaître.
Burn Out. Le mot est écrit. Il est dit. Il résonne. Enorme. Incongru. Cette incompréhensible reddition au nom de feu. Alors qu’elle est avant tout un enfouissement. Ce couperet toujours un peu suspect aux yeux de tous. Comme une espèce de mascarade, d’excuse aux contours informes.
De la chambre d’hôpital au confinement de mon appartement j’ai erré dans un non-lieu. La fatigue régule tout .. c’est-à-dire rien. Une pensée a un tel poids, un pas une exigence, un geste une lourdeur. Des montagnes insurmontables, démesurées. Au-delà de mes forces.
Et la honte. De faillir. De déserter. De ne pas être capable. Car c’est cela la norme, non ? Réussir, assurer, gérer, sans failles. A quel prix ? Personne ne veut le savoir. Repose-toi. Le médecin c’est son métier. Repose-toi. Les proches soufflent un peu. Ou se dédouanent. Ou fuient vite, très vite. Et si c’était contagieux ? Plus rien n’a la même couleur. Ni le temps, ni le café, ni l’amitié… ni moi.

Un soleil timide se glisse près de moi. Allons, encore deux rues puis on tourne à droite au petit rond-point. La maison est au bout de l’impasse comme calée par les autres. Un peu gardienne, un peu solitaire. Elle a gardé son aspect un peu cossu sous une fragilité nouvelle. Peinture moins nette, toit moussu, le jardin plus sauvage. Grand père n’est plus là pour veiller au strict respect de l’ordonnancement du jardin et de la maison. Ancien militaire, il n’était pas vraiment adepte de la fantaisie. Une lumière brille dans la cuisine à l’approche du soir. Amélie ou tante Odile ? Ou … ?
Je ne suis plus revenue pour des vacances depuis plus de 20 ans. J’ai fui cette maison l’été de nos dix-huit ans à Amélie et moi. Et n’y suis passée que pour de courtes visites. Des passages… rien d’autre.
Ce 20 août. Fête traditionnelle pour nos deux anniversaires. Table de fête sur le nappage blanc amidonné. Rehaussée d’une couleur particulière pour ce passage à l’âge identifié comme adulte. L’heure du repas arrive. Amélie manque à l’appel. Inhabituel, inconcevable. Grand père fulmine.
Il me regarde furieux. « Evidemment tu ne sais rien » lance-t-il acide.
Non je ne sais rien et pour une fois c’est vrai. Amélie est partie furtivement cette après-midi quand je lisais dans ma chambre et je n’ai aucune idée d’où elle allait. J’en suis un peu mortifiée d’ailleurs. Tante Odile tord ses mains. Les autres s’agitent. Le ton des voix baisse en écho à l’irritation de grand père qui monte. De longues minutes pèsent sur le salon tout à coup électrique.
« A table, il n’est pas question d’attendre encore » cingle-t-il
Le repas a ressemblé à une veillée mortuaire. L’attente a ruiné la qualité du repas. Les festivités ont été ajournées. Personne n’ose exprimer son inquiétude devant le sourcil courroucé de Grand-père. Peut-être est-il inquiet lui aussi. Mais rien ne le laisse transparaitre en tout cas. Et il y a comme une angoisse feutrée que la bienséance interdit d’exprimer.
A l’heure du coucher Amélie manque toujours. La porte de la maison verrouillée est comme un couperet supplémentaire. Je n’ai pas dormi cette nuit-là. Guettant les bruits de la nuit. Tendant tous mes sens pour si Amélie a besoin de moi. Je n’ai rien entendu. Le matin m’a cloué à mon angoisse et mon malaise. Mais pourquoi ne m’avait-elle rien dit !

Il faut le temps de longs sommeil, de longs jours de brume à la fatigue poisseuse pour entrevoir que ces nouvelles couleurs possibles pourraient être autre chose qu’une impasse. Comme une infime lueur de l’aube incertaine.
Commence une sorte de litanie des non. Refuser ce qui me tue, m’étouffe. Tous ces non que j’entrevois, un peu armures, un peu chevaliers, encore improbables. Litanie de tout ce qui me fait mal. Litanie oui, découverte aussi. Il y avait donc tout cela derrière l’armure ? Litanie du vide aussi. Je ne sais plus très bien qui je suis exactement. Incertitude chronique, doute lancinant. Le doute qui ronge et qui soigne à la fois. Un peu comme une brulure. Une sorte de descente au creux de la terre qui est mienne. Spéléologie. Anxieuse. Empruntée. Déroutante. Salvatrice peut-être. A condition d’y être accompagnée. Et le temps, le temps qui s’étire, interminable, démesuré, déployé comme à l’infini. En voit-on jamais le bout ?

Amélie est revenue le matin. Fermée comme un bloc de marbre. Laissant ruisseler la colère tranchante de Grand-père sans y répondre d’une quelconque manière. Passé ce premier orage, elle est partie s’enfermer dans sa chambre. Cadenassée, même pour moi.
Mon départ était programmé pour la fin de matinée, je suis partie sans que l’on puisse briser ce mur. Il ne l’a jamais été jusqu’à ce jour. J’ai écrit. Je n’ai jamais eu de réponse. J’ai essayé d’appeler, elle a toujours refusé le dialogue. Répondant par monosyllabe si je l’avais par hasard au téléphone.
Passé des études courtes de comptable, elle est venue vivre dans la maison de grand-père. Elle a secondé tante Odile pour ses années de maladie. Puis sa mort. Quand je venais le voir, elle s’arrangeait pour ne pas être là. Ou en compagnie suffisamment nombreuse pour ne pas être obligée de me parler. A la messe d’enterrement de grand père, elle restée loin de moi, dans la discrétion et le service. Un peu sauvage avec tous d’ailleurs. Pas seulement avec moi.
Je n’ai jamais compris.

Accepter tout simplement cette fatigue.Ne plus la combattre. Ne plus l’ériger en censeur, en juge de ce que je suis ou non. Ne plus la laisser me culpabiliser d’avoir le temps, de ne pas être au travail, de ne plus être dans la course effrénée. Ce matin, je me suis réveillée moins lourde, moins empâtée. Le soleil se glisse près de moi. Je ressens l’invitation. J’y réponds. Le café est moins amer, la solitude moins criante. Premier pas ?
Cet après-midi, j’ai réussi à partir me promener dans un des lieux que j’aime. Revenir au marché de la place de la réunion. Ooh pas longtemps. Passer est déjà une belle victoire. Pas encore la force de rencontrer des têtes connues. Pas encore celle de m’asseoir au bar du coin. Chaque pas à la fois. Pas encore capable de dire… comme de ne pas dire non plus. Incohérence concrète.

Je crois que j’ai repassé des milliers de fois le scénario de ces étés, de ces complicités, de cet été-là en particulier. Pour retrouver saveurs, échos, indices. J’ai fini par imaginer que notre voisin y avait sa part. Haute et mince silhouette à la chevelure broussailleuse. Regard impérieux, incisif. Noir et profond. Démarche souple, libre. Un contentieux, impossible à comprendre pour nous enfants, avait tracé une barrière infranchissable entre nos deux jardins, maisons, univers. Il me semblait vieux mais il ne devait pas l’être réellement. Trente ans tout au plus quand mon regard d’enfant s’estompe. Il alimentait la plupart de nos mystères, de nos histoires, de chuchotements. Etait-il beau ? Sans doute. Il était auréolé de mystère et de tension.
J’ai pensé à un amour dont je n’aurai rien vu. J’ai cherché quelle trahison j’avais pu commettre ou omettre, quel mot, quel regard, quelle absence pouvait bien motiver ce rejet si entier d’Amélie. Quelle attente de sa part j’avais négligé ?

Hier au détour de la rue des Pyrénées, j’ai vu la haute silhouette de C. Sa main tendre entourant l’épaule de sa compagne. Geste immuable dont la douceur caresse encore mon épaule. Brûle encore mon corps de son absence. Rien n’est donc apaisé. Rejet coupant qui me lacère encore. Rejets, abandons, silences. Qui se succèdent comme une sorte de litanie. Suis-je aimable ? La question a peuplé ma nuit. Décoloré ma journée. Entamé ma renaissance fragile. Alimenté la longue séance avec ma psy. Et péniblement, douloureusement, posé les premières fondations d’un nouveau regard sur moi-même.

Dans le décor un peu flou et raide de la vie familiale, Amélie était celle qui me donnait de la lumière. Ma mère enfermée dans sa dépression chronique distillait ses critiques à mon égard. Une sorte de revanche sur son sentiment d’inexistence ? Scénario bien huilé somme toute pour elle. Ce qui me fait mal, pendant un instant semble la combler. Concurrence permanente de sa part pour capter le regard de mon père. Je ne devrais pas exister. C’est en tout cas ce que j’ai compris. Mon père se meut en fantôme dans notre vie. Il assure ce qui doit l’être, respecte sa femme au sens où la bonne société l’entend. Mais il vit ailleurs. Son affection pour moi trouve sa place quand ma mère est absente ou dort. Mais c’est si rare. Si furtif.
Je passe de ce fait toutes mes vacances scolaires ici. Dans la maison familiale. Comme Amélie. Comme mes trois cousins. Avec Grand père et Tante Odile. Le regard d’Amélie, rieur, complice, quotidien, me donne l’impression enfin d’exister pour quelqu’un. Mon admiration pour elle me nourrit comme si j’étais une part d’elle-même. Filtre déformant dont je n’ai pas conscience.

Qui suis-je ? La question se pose, lancinante, étourdissante. Question inutile ? Voire futile ?
Peut-être mais c’est la première fois que je me la pose. Vraiment. De moi à moi. Et non d’eux à moi. Depuis quelques temps, un rêve me poursuit. Celui d’une maison noircie de crasse et de feu, aux fenêtres ouvertes battant au vent. Les étages sombres portent la trace de l’abandon, murs décrépis, papiers peints gisant comme ils peuvent. Maison vide où aucune lumière ne parvient… je me réveille à chaque fois en sueur, le cœur accéléré à un rythme démesuré.
« C’est peut-être comme cela que vous vous voyez », me suggère ma psy. Sans doute… Oui sûrement. Et je me demande en silence : Quand c’est aussi abimé, c’est possible de rénover ?

Je suis à deux pas de la maison. A travers le voile, je vois une silhouette bouger dans la cuisine. Ma valise me parait soudain très lourde. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ? Là à cet instant précis je ne sais plus. Il y a comme une chape soudaine.
Ma main a frôlé la sonnette blanche. La musique aigrelette, si familière a fait frémir mon corps et mon enfance m’a envahi. Une confusion intense. En un instant fébrile.
Un son de pas ferme, une clé qui tourne et Amélie est face à moi. Surprise. Prête à s’effacer comme si je venais pour une autre.
« Amélie, reste, s’il te plait, j’ai besoin de te voir… de te dire… » Ma voix s’effondre et malgré tous mes efforts depuis ce matin, je fonds en larmes. Sans bruits. Muette. Fragile. Je ne vois plus rien. J’ai baissé la tête. Sans voir le regard d’Amélie prendre des couleurs d’orages… puis étrangement s’adoucir. Je me baisse pour reprendre ma valise et repartir. Mais pourquoi donc suis-je venue ? Je suis ridicule !
A la seconde marche, la main d’Amélie me retient. Puis m’entraîne dans la maison. Son regard porte une hésitation, comme un inconnu. J’entends dans un souffle : « Reste… » et elle disparaît dans la cuisine. Le plafonnier s’éteint. Le carillon de la pendule égrène discrètement les minutes. Une toux un peu grasse résonne dans la chambre de tante Annie, là-haut. Une cuillère en bois, nerveuse, s’agite dans une casserole en cuisine. Mes yeux couvent mes larmes. Je suis désemparée, en suspension. Puis, mon souffle s’apaise.
« Débarrasse-toi de ton manteau » souffle Amélie, revenue « tu ne vas pas rester là ! Une soupe de châtaignes, cela te va ? ». Oui, ça me va. Tout me va ! Et dans la lumière revenue, son regard un rien taquin me ramène à moi-même. Comme une retrouvaille. Enfin !
La soirée a passé en douceur. Sans beaucoup de mots. Mais sans absences. Sans vides. Tante Odile vieillie, courbée, est descendue pour nous retrouver. Babillant de plaisir de me voir là. Amélie la cajole comme une enfant, avec une douceur que je ne lui connais pas.
J’ai aidé Tante Odile à se coucher. Son bonheur évident m’a ému. Bonheur simple. Grâce de l’instant. Savoureux. Une brèche s’est ouverte. Je suis montée dans ma chambre d’enfance accompagnée d’une douce musique intérieure.

Je me suis réveillée au cœur de la nuit, et j’ai senti Amélie assise sur le lit d’en face, immobile. Le halo furtif de la pénombre sur elle. La musique de la nuit comme creuset.
Sa voix monte dans la nuit, douce, menue, comme en secret. Monologue intérieur. Je me demande si elle a conscience que j’entends son murmure.
« C’est bon de te voir dans ce lit. De te savoir là. Je dois l’avouer…. Nous deux dans cette chambre. C’est si lointain et en même temps si proche. Ce matin où tu es partie, je t’ai regardé partir de la fenêtre d’en haut. J’étais tellement en colère. Mais tellement ! Je m’en souviens comme d’un feu dévorant. Mais c’est l’unique chose dont je me rappelle. … ah, non, j’entends encore la colère de Grand-père, froide, coupante, acide, qui m’avait fait tellement peur. » Son souffle noue l’épaisseur de la nuit. Comme avant, et je guette son souffle pour entendre la suite.
Dans une douceur infime, assourdie, elle poursuit : « Pourquoi j’étais aussi en colère ? En fait, je ne m’en souviens plus vraiment… J’ai beau cherché, rien ne vient. Au moment-même je suppose que c’était évident au point de te laisser partir sans un mot et d’entretenir ce silence orgueilleux, interminable et absurde au fil des ans. J’ai essayé souvent de me rappeler pourquoi je t’en voulais tant. En quoi tu m’avais trahi… Rien. Comme un voile noir. ».
Les mots glissent en moi tout doucement comme un baume inattendu. Je frissonne d’incrédulité. Alors elle non plus ne sait plus vraiment…
« De te voir là, suppliante, dans l’entrée de la maison m’a retourné, totalement, …et je me suis dit que j’étais juste tellement heureuse, tellement soulagée de te retrouver. Que plus rien ne comptait. Rien. Je réalisais d’un coup combien tu m’avais manqué.
Merci. Merci. … merci. Je ne pensais pas que ce serait possible un jour. »
Mes larmes ont coulé doucement. J’ai étendu mon bras pour saisir sa main. Etreinte fugace.

Une porte s’est ouverte. Je me suis reconnu courageuse d’être venue, pour dire, exprimer, renouer … Les instants précieux de ces quelques jours ont bousculé ces années absurdes. Le Merci d’Amélie a remis chacune à sa place. Vivante. Unique. Je suis vivante et unique. Et en chemin. Son amour retrouvé m’a ravivé. Il reste une longue pente à gravir. Mais mon pas a changé de rythme.
Et j’ai affiché dans mon rêve un large panneau sur la maison noire : Rénovation en cours !

Portrait 1

Je me lance dans une série de portrait. De personnes croisées dans la rue ou dans des lieux publics, bars, terrasses, places etc… L’idée étant de leur construire une identité, un univers… dont je ne sais rien évidemment. Voilà le premier!
Dans un café à Biarritz, rentre une dame, fausse blonde, l’air désagréable, qui nous toise… je lui laisse la parole!

Évidemment ma place est prise. La petite table entre le bar et l’entrée de l’hôtel. Je déteste cela. Même si je sais que c’est un lieu public ce café de Paris. Mais d’y avoir mes marques me rassure. Le serveur me fait un sourire navré. Il sent mon impatience. Je suis une habituée.

Je sais… je n’ai absolument pas l’air de cela. Je cultive un air hautain et désagréable. Cela me protège de l’émotion. Ce matin, j’y ajoute mon apparence… pantalon de cuir, veste longue sans manches en fausse fourrure noire. Mon maquillage trop fourni alourdit mon visage un peu poupin de fausse blonde.

En entrant, mon regard a fait le tour des tables avec un dédain teinté de colère… je les vomis. A la mesure de l’accablement qui m’habite. Ils m’importent peu en fait. Mais ils m’agacent. Ils viennent me heurter. Me renvoient à ma solitude. Alors que je tente de montrer qu’elle m’indiffère. Ils m’agacent tous. Deux couples d’amis qui rient pour un rien. Deux amoureux qui se caressent furtivement. Le père et le fils embarqués dans ce match de rugby bruyant comme si leur vie en dépendait.

Ce matin, j’ai essayé d’appeler mon fils. Pas de réponse. C’est le troisième message que je laisse. Sans retour aucun. Cela aussi ça m’agace. En fait plus que cela. C’est comme un rejet qui m’atteint, me pique. Moi qui ai toujours vécu en signifiant clairement que je n’avais besoin de personne. Cela m’atteint. Réellement. Et c’est nouveau. Je découvre l’attente. L’attente de l’autre… l’inquiétude. Avant je ne faisais que faire attendre. Je n’en mesurais donc pas les effets. Je les méprisais même. Aujourd’hui, je les éprouve. Cela me fragilise, m’impacte. Depuis peu. Et je suis très démunie.

J’ai pris le journal. Parcourant d’un regard bref les nouvelles. Je n’y trouve aucun intérêt mais pour la première fois j’ai besoin de me donner une contenance. Attirer les regards ne me suffit plus. Ma faille intérieure se creuse. Se voit-elle tant ? Et mon fils qui ne rappelle pas.

Le café s’est vidé. D’autres arrivent pour déjeuner. Je me lève. Dans une lenteur calculée. Tout est affaire de vernis. Dans les rues de Biarritz, la brocante provoque de petites effervescences. Malgré un temps un peu frais, les premiers touristes de mai s’aventurent vers les premiers shorts et débardeurs. L’envahissement estival commence. Sans changer de pas, digne, je marche jusque chez moi. Dans l’ascenseur, je commence à me détendre. Les entrées codées filtrent les intrus éventuels. Pas de surprises possibles.

Mon appartement domine la mer. L’ancien grand hôtel a été divisé et mis en vente par lot. Stanislas, mon amant de l’époque m’a offert celui du dernier étage qui surplombe la mer. Le plus haut, le plus grand, avec une terrasse tout du long. L’argent transpire de partout, un rien de m’as-tu-vu aussi. C’est ce que je voulais à ce moment-là. Maintenant… tout est différent. Et la mer, à la musique lancinante et continue, rythme les jours.

La porte blindée glisse sur ses gonds. Indira, ma bonne indienne, vient me débarrasser entre sourire et obséquiosité. Ma main continue d’effleurer mon téléphone. Mon fils n’appelle toujours pas.

A cet instant la décoration étudiée du lieu me heurte. Précision, ordre, esthétique de prix… un mélange de soin et de besoin d’étaler sa supériorité transpire de partout. Mais pas de vie… aucune vie. Une sèche solitude infiltrée de partout. Solitude. Ma solitude qui me fouette à l’instant. Me tord, me déborde, me coupe.
Je me plie sur le canapé en criant, mes mains tenant mon ventre, respiration coupée, tremblante. Une douleur aigue me traverse le torse, m’étourdit, m’aveugle. Je sens la vie qui me quitte et je ne la retiens pas malgré la peur.
Mon téléphone vibre… Mon fils ! Dans un ultime effort pour répondre je tends le bras et …

Le choc du corps sur la table de verre a arrêté la sonnerie du téléphone. Puis retentit le petit sifflement d’un message.
Et le flot de l’océan continue son va et vient. Immuable.