Voeux

Derrière les nuages

Au jeu de cache-cache

             Rien de visible

Derrière les dernières feuilles

Qui s’accrochent et résistent

Le vent de l’hiver souffle et

             balaie sournoisement quelques vestiges

Aucune bataille apparente

Serait-ce l’ordre des choses

Ce chemin établi du froid,

             comme un enfermement, un désarroi, une peur inéluctable ?

Ou peut-être un chemin

             étroit

une sorte de dénuement de dépouillement d’effeuillement inconnu 

frémissement intime d’une attente profonde

Ce souffle-là rien ne peut l’éteindre

Rien ne dit ce qui est à naître

Ajouré

          Bien sûr je sais que l’aube n’est pas à moi. Qu’elle s’ouvre sans moi. Que ce filtre ajouré des nuages cache le trésor du jour, le feu dosé de la vie. Bien sûr. Bien sûr. Et que je n’y suis pour rien, que ce n’est pas pour moi plus que pour les autres. Pourtant dans le matin encore rêveur, c’est comme un regard personnel. « Vous avez un message ! » Ah oui ? Je souris. C’est puéril, enfantin. Comme un conte qui commence sans héros, juste avec le souffle du magicien. Et pourtant…
          Quand la lueur nait derrière l’ombre de la nuit, étrange mariage de l’horizon et des arbres, je frémis. La lune n’est pas encore partie, elle accueille cette première lueur avec quelques étoiles. Elles aiment taquiner le jour. Une espèce de conciliabule intime. Que je partage. Il n’y a pas de mots, juste ce frémissement intérieur que mon souffle attentif relaie.           Je suis tellement profondément vivante en cet instant où rien ne bouge, hormis cette lueur qui accompagne l’éloignement de la pénombre. Comme une renaissance minérale. Mon corps comme médiateur d’une énergie puissante. Lumineuse, victorieuse, à la fois millénaire et inédite.
         Je ne suis pas sûre d’avoir jamais perçu cette présence vitale de manière aussi puissante, aussi intime, aussi spirituelle. Spirituelle ? Cet élan qui m’habite, me nourrit et me dépasse dans le même temps. Oui. L’aube me fait naître neuve, le jour approche, j’emboite son pas.

Effeuillés

Les feuilles tombent
L’ombre tombe
Sans ombres
Les solitudes effeuillent le temps
Lit le temps, seul
Déni du temps esseulé, apeuré
Temps sans sol, sans toi
Délié, dénudé

Les feuilles tombent
Tombeau de ces larmes, de ces corps
Que le vide embrase
Sans embrasser
Que le rien et l’absence.

Les feuilles
Tapis de deuil
Tapies, en silence,
Sans savoir, Sans vouloir, Sans regards
Masque de deuil, deuil masqué
Sans savoir, sans espoirs, sans égards

Les feuilles tombent
Comme les coups
Comme la peur du noir
Rien ne perce, respiration de rien
De l’instant, du temps.

Reste, détends l’étau qui tend le temps
Ouvre, les bras du temps,
Délie ce rien, cet instant étouffé
Juste les feuilles qui tombent

Vent

Vent de mer
Vent de sable
L’écorce se griffe
d’un abîme inconnu
d’une écriture brûlante
Quel silence!
Où va-t-on?

Pavé battu de froid
Froid du manque
Froid du vide
Froid de l’absence
injuste
raide
pesant
Que devient-on?

Au vent de la haine
les armes parlent
aveugles
blessées
de bêtises
d’ignorance
Où portent nos pas?

Bégaiement…

A l’eau
Peau à peau
Ta peau m’est peau
Appeau de mes mains
Appeau de mes reins
Dépôt de mes peaux,
Qui me collent à la peau
Comme pot de colle
Peau d’école décolle

Colle porte ma peau mate
Colle mate ma porte dépôt
Colmate mes pores mes ports
Mate mate mon col ma peau
Mate le peu de peau
Le peu de pas
Mate le port maternel
Mon éternelle sempiternelle
Peau de ma peau de ta peau
Terre ma terre maternelle
Pot de terre dépôt du repos

En pause de ta peau
Pause de posture
Posture ou imposture imposée
Pause du repos imposé
Imposé posé reposé
Peau à peau reposé déposé
A l’eau de l’aube
De demain
De mains
Peau à peau

Mon pays

Mon pays vente

Rafales de sanglots blonds que les rochers crachent
Rugissements de l’herbe égarée
Ce vent que je crie
Qui me hurle
Tâtonnement lucide de ma peine
Rien que ma solitude et le vent

Mon pays pleut

Et la pluie remplit la mer
La vide la trouble
Et la pluie brusque le sable
Le casse le raidit
Et la pluie cogne les cauchemars
Les oublis les peurs
Rien que mes pas et la pluie

Mon pays renaît

A la plainte du ressac
Au gras des rochers
A la lumière effeuillée que la baie invite sans relâche
L’aube comme une calligraphie
Comme un crépuscule que la brume oublie
Mon regard cueille cette fugue du ciel
Rien que l’inconnu et mon regard

Mon pays est rivage

Sans rien qui l’attache ou le noue
Juste un courant qui accoste
Des flots qui s’égrènent
Au gré du sable de mes pas

Mon pays est écho

Aux nuages échevelés que la pluie mange
A la lumière éclaboussée
par les coups sourds de la tempête
Comme au rythme de mon corps

Mon pays reste là

Juste là, Toujours
Sans moi ou avec ou
Contre
Au détour de la carte
Du récif
De la vague

Il m’existe

Regards

Marche dérogatoire
Pas solitaires
Les regards encagés
fuient la rencontre
Regards pestiférés ?
accrochés aux corps désabusés et inquiets

Vide des regards,
Absence de vous
De vous à moi
De moi à vous

Vos regards me manquent
Ces fils aériens tisseurs de liens
en humanité
en cet instant si fractionné si impalpable

Je cherche et cueille cette
petite musique fraternelle de vos regards
pétillante derrière
Les masques
Les gestes barrières
Les appels à la guerre

Envie d’être frères
et solidaires envers et contre tout
à défendre en urgence !

Par vos regards ouverts et  volontaires !

Brèches

Le vent hurle en sourdine

Les mots de mort que la peur écrit

Croisée des épées de soupçons,

Le fleuve déborde jusqu’à nos brèches

Je suis transparente aux branches

Engloutie de flèches que darde les douleurs

Des autres

De moi

Des absents

Face aux rugissements

De l’ogre

Résiste, oui résiste

Toi, moi, eux, encore et plus

Pour ne rien perdre du feu

Ou de l’aurore du crépuscule.

Pas ajourés

New York, composition 9
Oeuvre de Catherine van den Steen
http://catherinevandensteen.blogspot.com/

catherine

Pas ajourés
D’un reste de paroles
D’une ombre de solitude
D’une trace de regards perdus
Aux ombres absentes
De reflets sans illusions
De ce bruit qui résonne, encore

Marche ajourée
D’une sève ensanglantée
Au passage sans chemin
D’un homme
D’une femme
De celui que l’on traîne, en plus

Vie ajourée
D’une brise sans nom
D’une corde nouée
D’une boite vide
Du tronc creusé, vidé, blessé
Aux encres évaporées
De ce rien que l’absence crie, en boucle

Risques ajourés
Du jeu ténu
Du silence apporté
Du sol en lumière
Aux accents quotidiens
De ce demain qui murmure, enfin

Voeux

Et il y a toujours cette incertitude du matin
de ce que sera le jour, sa couleur, sa musique…
Quel souffle emportera le feuillage de nos peurs,
les entailles de nos doutes ?

Rien n’est écrit sur l’écorce creusée
juste la trace de la nuit sur les lèvres de son bois
juste le geste effréné des branches vers le jour
juste l’insolente mélopée des feuilles sous la brise.

Sous le couvert de l’aube, la danse des ombres inconnues
ouvrira nos voix, dessinera nos pas
comme le sifflement des nuages emportés par la sève.

Et dans sa course, la rivière portera une douceur
à la joie de nos rires, à nos mains enlacées,
à la lumière ajourée de nos silences,
aux accents acidulés, tenaces, cocasses aussi, de nos amitiés,
à la méticuleuse audace de nos tendresses,
à l’élan inestimable, improbable, imprévu de nos amours
encore et encore malgré tout!

Belle route au long de 2020….