Bonne Maman

Enfance,

J’ai toujours connu la grille du château de ma grand-mère, ouverte sur l’ample allée de marronniers. Large chemin de terre et de pierre, sans ornières. Arbres droits et solennels. Feuillage gras et fourni à la belle saison. J’entends encore le bruit sourd de la chute des marrons dans l’herbe. Je caresse encore leurs rondeurs luisantes dans le fond de mes poches. Je prépare mes réserves pour les batailles avec les cousins.

L’allée ne semble mener à rien. Le chemin se divise sans que l’on ne puisse rien distinguer hormis troncs et feuillages. Le parc est en rondeurs successives. Suivre le chemin de droite, c’est aller plus vite, c’est le chemin des voitures, c’est le chemin des grands. Moi, j’aime aller à gauche, j’aime entrer dans le mystère du grand hêtre rouge. Cet arbre immense aux branches solides et rassurantes, enveloppe le chemin de sa parure. J’y entre, j’y passe, je le traverse, je m’y cache, j’ai encore en moi son odeur chaude. Au sortir de ce tunnel végétal, c’est la grande prairie qui s’offre. Bordée des deux chemins, elle est comme le ventre accueillant du château.

Mais il y a château et château. Celui-ci n’est qu’un inélégant cube de briques rouges aussi banal que modeste, avec un semblant d’escalier en milieu de façade nommé pompeusement perron. Le perron de pierre grise ? Parfait pour sauter à cloche pied, pour y trouver refuge en cas de jeux de poursuite, pour s’y faire photographier en robe de fête avec Bonne Maman. Mais sûrement pas pour y entrer.

A l’image de ma discrète grand-mère, l’entrée est sur le côté. Une porte étroite, quelques marches en pierres grises, et c’est le grand hall où trône le piano à queue, noir de jais, le seigneur des lieux. Il appelle les doigts agiles et son tabouret rebondi de velours attend les artistes. En face de lui, l’escalier de bois aux larges marches avec sa rampe de bois verni. Un serpent ocre coulant depuis le deuxième étage, large, plat, glissant. Les yeux fermés je revis les glissades interdites, je sens encore le vent siffler doucement à mes oreilles. A faire à l’abri du regard des grands !

Ce château, c’est la demeure  de Bonne Maman, fine silhouette grise au pas mesuré, à la voix douce. Peu de gestes, peu de mots, une tendresse discrète sous le vernis de l’éducation rigoureuse. Bonne Maman, contraste d’une châtelaine de nom, vivant dans une sobriété parfaite.

Née à une époque révolue où l’on se faisait servir, Bonne Maman est parfaitement incapable de cuisiner. Ses talents culinaires s’arrêtent à l’œuf au plat. Et sur la longue table, dans la grande salle à manger aux sombres boiseries, les repas me semblent à chaque fois d’une terrible frugalité.

Bonne Maman a son refuge dans le bureau. Les autres pièces ne lui ressemblent pas. Avec son long gilet gris, sa jupe de toile droite et son chignon resserré, elle est assise près du poêle. Elle y mène scrabble, mah-jong, lecture, tricot ou mots croisés avec l’air appliqué d’une sage écolière. Seuls ses yeux laissent furtivement passer son humour et sa fantaisie.

Son existence paraît tellement étroite à mes yeux d’enfant. Le chemin vers le potager si court. Le bureau si petit. Le programme si immuable. Le plaisir si peu admis. Je ne découvrirai sa finesse et son intelligence que beaucoup plus tard.

Si je m’étonne qu’elle ait eu dix enfants, elle répond finement : « Mais je ne les ai pas eus tous à la fois. » Et si je lui demande de raconter sa rencontre avec Bon papa, elle ne résiste pas à me montrer comment avec son grand chapeau, elle a pu s’isoler avec lui en écartant d’autres soupirants.

Mais surtout, c’est son incroyable tolérance à nos bêtises qui me semble le plus appréciable. Sourde à nos batailles de polochons, aveugle de nos poursuites sur la rampe d’escalier ou de nos cache-cache nocturnes, elle passe sans voir l’étalage effroyable de notre désordre. Peut-être finalement, qu’elle n’était pas du monde des grands !

 

10 réflexions au sujet de « Bonne Maman »

  1. Que d’images et de souvenirs ton billet et les commentaires de tes cousins ravivent, chère magicienne des mots !
    La grille du château de ma grand-mère, elle aussi, était toujours ouverte, et le perron, comme chez ta Bonne-maman, Brigitte, servait aussi de refuge pour échapper au chat, Mais « notre » l’hêtre était pourpre, royal, immense, abritant de son ombre d’un coté les acrobaties des petits au portique et de l’autre les transats de Mamie et des grandes personnes assistant aux parties de tennis des nos oncles et tantes. Ce château s’appelle le Luat. Il est à 20 km au nord de Paris.
    Je viens de lire le journal de mon grand-père racontant sa « libération » en août 44. Les enfants (mes oncles et tantes) avaient démonté les roues de leurs bicyclettes et caché les cadres au grenier pour éviter que les allemands en fuite ne les réquisitionnent ! ….
    Jean-Nicolas
    ,

  2. No limit !!!

    A 80 ans, Bonne-Maman décide que faire du vélo n’est plus de son âge ….

    Quelques années plus tard, Fernande a reçu pour ses 80 ans un nouveau vélo ! (Fernande est une dame du village qui était bien souvent venue aider à la cuisine, pour toutes les grandes occasions. Encore une qui mérite un chapitre.. ). Et je me suis souvent demandé si le même geste n’aurait pu être fait pour Bonne-Maman, car sa bicyclette très noire, très vieille, était aussi très solide, très lourde, sans changement de vitesse. Parfaite pour enfoncer une porte, pas pour menacer Eddy Merckx dans les côtes. Mais, je ne sais pas quels trésors de diplomatie il aurait fallu déployer pour lui faire accepter un engin « beaucoup trop bien pour moi », « ça n’est pas la peine », « c’est ridicule » et toute cette sorte de choses.

    Mais bon. Voilà Bonne-Maman à pied à 80 ans.
    L’année d’après, passant, en marchant donc, près de la chapelle, en face de la grande grille, elle voit un papier chiffonné sur un tas de bois. On a rassemblé le bois mort du grand marronnier, les branches mises à terre par quelque bourrasque, mais ce bout de papier là-dessus, ça fait sale !
    Ben vrai ! A l’assaut, il faut enlever ça.

    Et Bonne-Maman grimpe sur les bois … Mais il fait humide, tout est glissant, et c’est la chute. Fracture. Après je ne sais combien de temps sous la pluie, quelqu’un passe, et la voilà bientôt avec une jambe dans le plâtre.

    Le pronostic des médecins est bon : elle pourra remarcher, enfin … probablement, d’ici un an, avec des béquilles, ou alors avec une canne …

    Les mois nécessaires ont passé, et puis moi aussi, je suis passé, la saluer, de temps en temps. Accueilli bien souvent avec un enthousiasme certain : « Ah ! Tu es là ! Eh bien, justement, à la cuisine (au sous-sol, et l’escalier est un peu raide ), il faudrait rattacher… » Je ne sais plus ce qu’il fallait faire à la cuisine, mais je sais qu’il fallait ensuite remplacer une ampoule au second, et déplacer quelque chose au premier . Et que c’était haut, et pas question de traîner pour la suivre dans les escaliers …

    L’idée de marcher avec une assistance quelconque ne lui serait pas venue …
    « c’est ridicule, voyons ! »

    Elle habitait sa maison. Sans doute pas toutes les pièces tous les jours. Mais tant que ce fut possible, et il en fallait beaucoup pour accepter une limite.

    Quoique…
    A propos de limites … On a beaucoup parlé de son bureau, mais l’été la voyait aussi au jardin, près du tennis, ou de la piscine.

    Je l’entends encore lancer cette observation à Anne, qui venait jouer au tennis : « Dites, chère, vous ne risquez pas de marcher dans votre jupe ! »
    Ou un autre jour, au bord de l’eau, à la même Anne en bikini joli : « Quand vous êtes habillée comme ça, il ne faut pas venir me dire bonjour ! »

    Il faut bien des limites pour la bienséance, et que l’on imite dès la petite enfance.

    Charles

  3. A la lisière du parc, un vieux bâtiment avait servi d’école du village – école catholique évidemment – et n’était plus utilisé car l’école officielle suffisait largement, et l’instituteur en était tout autant catholique …

    La « vieille école », donc, était mise à la disposition des mouvements de jeunesse pour les camps d’été. Scouts, guides ou louveteaux se succédaient, pour notre joie : des cabanes apparaissaient dans « notre » domaine, à Yves et moi.

    Il est arrivé que certains « chefs » peu soigneux y abandonnent quelques sacs-poubelles sans trop se soucier de leur sort après leur départ. Bonne-Maman jetait toujours un coup d’œil pour vérifier dans quel état se trouvaient les lieux. Un coup d’œil soigneux. Jusqu’au fond des sacs.
    Et si par bonheur s’y trouvait un paquet de biscuits pas complètement vide, ç’aurait été un scandale de laisser gaspiller tout ça.
    A ses enfants qui la morigénaient, elle concédait que, oui, « ils avaient un petit goût sauvage », parodiant finement une publicité du moment.

    Un aparté sur ce « notre » domaine à Yves et à moi : nous vivions dans ce parc, même si c’était celui de Bon-Papa. Et nous avions vite repéré les bonnes choses qu’on pouvait y trouver, que ce soit au potager, ou dans le grand verger, et encore sous les noisetiers. Mais Mamy (Tante Anne-Marie pour les cousins ) nous dit un jour d’été : « vous ne pouvez pas cueillir les noisettes, c’est le parc de Bon-Papa, c’est à lui »
    Ah bon ? Et bien, on va voir ça !
    Et voilà Yves et Charles partis en chasse, pour cueillir TOUTES les noisettes qu’ils peuvent trouver, connaissant les endroits propices, et grimpant aux arbres comme des singes, pour les entasser dans ce qui nous paraissait vraiment comme notre domaine exclusif : « la petite maison » en attendant qu’elles y mûrissent.
    Ouais … en été, c’est trop tôt, trop vert, trop humide, ça pourrit sans rémission, et Mamy l’a vu, et personne n’a eu de noisette du parc cette année-là.
    Je ne sais plus s’il y eut punition.

    Charles

  4. Chère Bonne-Maman,

    je lis avec bonheur les évocations de mes chers cousins et cousines, à propos de toi, notre commune grand-mère, qui n’étais pas commune, et ma mémoire en est titillée.

    Dans mes premiers souvenirs, tu ne prenais guère de place. En présence de Bon-Papa, on ne t’entendait pas. Ou bien juste un mot, pour rappeler, les jours où au menu il y avait du poulet : « laissez-moi les bouts d’aile » C’était ta ration. Toujours.
    Ou quand on avait des moules, tu prenais un verre de bière, « pour faire passer le goût ». D’habitude, tu te contentais de l’eau du robinet.

    Je crois bien que c’est chez toi, encore du temps de Bon-Papa, que j’ai mangé mes premières sardines. Et j’y ai pris goût. Pire, j’ai cru ma mère quand elle m’a affirmé, bien dans ta ligne de conduite, que l’arête et la peau, c’était le meilleur !
    Il y avait intérêt à ne rien perdre, en effet, car je ne recevrais jamais plus qu’une sardine, comme de juste. Je me suis vengé par après … hélas, mais ceci est un autre débat.

    Le dimanche après-midi, tu allais au cinéma. En bus ! Le bus Huy-Waremme (et vice-versa) passait par Aineffe, et bien d’autres villages … Le cinéma : le « Vigilanti ». Ce qui en dit long sur la prudence apportée à la programmation de la salle.
    Attaché au collège Saint-Quirin, il méritait le soutien de notre grand-mère, tu t’y rendais régulièrement.
    Économe, d’autres l’ont dit, et généreuse aussi, tu invitais tous tes petits-enfants présents à ce moment à Aineffe à t’accompagner, du moins si le film était classé « enfants admis ». Tu prenais pour tout le monde les places les moins chères, comme pour toi-même, et chacun avait droit, à l’entracte, à une glace … La moins chère, bien entendu !

    En prenais-tu une toi-même ? Et quand tu y allais seule ? Je ne crois pas. Tu me diras, un jour?

    Myriam me rappelait il y a peu, qu’elle avait été voir dans cette tradition « Guerre et paix ».
    Hélas ! Ce film était bien long, coupé en deux parties, deux dimanches successifs. Ça, ce n’était rien, mais même une moitié de film, c’était encore un peu trop long, car il ne fallait pas rater le bus, et elle se demande encore comment tout ça se terminait.

    Charles

  5. Bonne maman était surprenante parfois.
    Nous (la famille Hynderick) avons eu la chance qu’elle vienne vivre chez nous à Bierges, durant de nombreux mois vers la fin de sa vie.
    L’occasion d’apprécier sa présence discrète et attentive, sa tendresse feutrée et … ses réflexions bien ajustées!

    Un jour, je (Brigitte) jouais au tennis avec comme partenaires 3 garçons, tous bien attentionnés. Du haut de mes 17 ans, je savourais sans doute l’instant.
    Depuis la baie vitrée du salon, mamy (tante Claire) a exprimé à Bonne Maman, son inquiétude de me voir ainsi courtisée. La réponse a fusé:
    « Arrêtez de vous inquiéter Claire, vous vous inquièterez bien plus quand il n’y en aura plus qu’un! »
    Ce qui fut vrai…

    Une autre fois nous étions attablés autour d’un traditionnel Mah-Jong. L’occasion de deviser sur les habitudes diverses, sur la manière de nommer les pièces, de couper le mur, etc…différents dans la tradition d’Otreppe et la tradition Hynderick… Bonne maman traîne, hésite, cela dure un peu.
    Puis elle lève la tête et nous regarde tranquillement:
    « Est-ce que je peux tricher? »
    Il nous a fallu un instant pour intégrer la question… et nous avons dit oui, bien entendu!

    L’air de plaisir de Bonne Maman au moment d’outrepasser les règles était assez savoureux.

    Brigitte

  6. Pour les pauvres expatriés permanents (ou presque) que nous étions, Aineffe, c’était un peu le port d’attache, la valeur sûre sur laquelle nous pouvions nous appuyer avec certitude, les racines aussi solides que celles des châtaigniers de l’allée, le cocon un peu hors du temps et du monde. Pas étonnant que les souvenirs millésimés foisonnent…comme les confitures…

  7. Le château de notre grand-mère n’avait pas grand-chose de commun avec les châteaux de la Loire. Un bâtiment à peine assez grand pour mériter ce titre, mais par ailleurs peu remarquable, un cube sans fantaisie dont le seul charme était le lierre qui envahissait les murs. Et l’intérieur était à l’avenant, imposant mais lourd. Le château était largement délaissé par sa châtelaine: à l’automne de sa vie elle préférait servir, si elle le pouvait encore, plutôt qu’être servie. Elle occupait une partie du château et ne se préoccupait pas beaucoup du reste.
    Mais pour les enfants que nous étions c’était surtout un terrain d’exploration et de découvertes. On essayait de s’imaginer la vie révolue des châtelains, pas si raffinée que cela à voir les simples bacs en céramique et les cruches destinés à la toilette de ces messieurs-dames. Et les plafonds très hauts n’avaient qu’un avantage pour nous, rallonger les volées d’escaliers sur les rampes desquelles nous glissions avec plaisir, bravant l’interdit dès que possible.
    Au détour d’un couloir ou d’un escalier de service, on pouvait retrouver les vestiges de billets pieux: « arrête, le coeur de Jésus est là! » autrefois collés aux quatre coins du château par une grande tante adepte de la dévotion au Sacré Coeur. Ou était-ce une arrière cousine, ou la grand-mère du cousin issu de germains?
    Les cuisines au sous sol valaient le détour, tellement vastes qu’on imaginait des festins pantagruéliques avec des sangliers entiers sur le feu, par Toutatis, préparés par une cohorte de cuistots tout de blanc vêtus. Et les réserves regorgeaient de confitures millésimées, de compotes de rhubarbe et autres wecks. Et on y trouvait aussi le billard, qui résistait encore et toujours aux mauvais traitements des nombreux petits enfants de la châtelaine. Elle avait eu dix enfants, donc imaginez le nombre de petits enfants!
    Mais le trésor, le clou du spectacle, le sommet de la découverte pour les jeunes explorateurs que nous étions, c’était sans conteste la réserve secrète. Aménagée habilement entre deux niveaux, on y accédait en dévissant trois planches sous le linoléum de la salle de bains du premier étage. Un espace assez grand pour que trois enfants puissent y entrer, et une source sans fin de scénarios pour nos jeunes imaginations. Cachés dans cet abri, nous en sortions sans bruit la nuit pour assassiner le commandant des SS, pour ensuite nous y recacher, introuvables, pendant que la meute des SS se ruait en hurlant à la recherche des coupables.
    En fait cet abri n’a pas hébergé d’héroïques résistants, mais juste quelques jambons, fromages et bouteilles de vin que les châtelains voulaient soustraire à l’appétit des occupants. Et Il y a bien eu des allemands au château, mais apparemment des gens corrects, dont un officier autrichien très poli, qui n’a pas été assassiné, mais est parti en disant « je ne vous dis pas au revoir, mais beaucoup merci ».
    Malheureusement, quand nous avons réussi à entrer dans l’abri il n’y avait plus de bouteille de vin…

  8. Contribution de Robert, le 5 juin 2014

    Bonne Maman donnait l’impression de s’excuser en permanence d’être là, d’être vivante.
    Vêtue de son immuable jupe grise et de sa blouse blanche, elle demeurait silencieuse dans son bureau au coin du château ou se déplaçait furtivement dans le parc vers l’église, le potager, ou la maison d’Oncle Guy.
    Mais ce n’était pas le silence d’une personne amère ou désabusée, ses yeux pétillants étaient là pour démentir cette fausse impression, et les enfants turbulents que nous étions ne recevaient de sa part aucune réprimande, mais invariablement un petit sourire complice parfois accompagné d’un bonbon.
    C’était le silence d’une religieuse, habitée par sa foi.
    A quoi croyait-elle et comment?
    Ses lectures pieuses nous paraîtraient aujourd’hui sans doute fort mièvres et désuettes, mais la religion était au centre de sa vie et elle n’avait besoin de rien d’autre. Sa vie frugale n’était pas un refus des plaisirs de la vie. Elle savait parfaitement trouver du plaisir à un bon repas ou une sortie quand nos parents l’invitaient à se joindre à nous. Mais elle n’en avait pas besoin pour être en paix.
    L’enfant que j’étais ne l’a jamais perçue, au contraire d’autres adultes, comme quelqu’un de rigide et de pesant, malgré son aspect austère. Peut-être un enfant voit-il mieux au travers des apparences…
    Et cela m’a inspiré plus tard quand je me suis retrouvé au loin dans des situations de frugalité plus ou moins forcées.
    En pensant à elle je me suis demandé: de quoi ai-je vraiment besoin?

  9. Contribution de Anne – Le 22 mai 2014

    Ce n’est un secret pour personne, Bonne-Maman était une fervente adepte de l’économie. Pas l’internationale, l’autre, celle qui nous fait garder le bout de ficelle au cas où…, celle qui nous fait garder le pot de yaourt vide pour y mettre d’éventuels restes, celle qui, du coup, remplissait le petit local à l’entresol, près de la petite toilette, dans l’escalier de service. Tout Bonne-Maman y était, quand nous avons entrepris de le vider après son départ! Embêtant, cependant, ce tic d’entreposage, car il s’est avéré héréditaire dans certaines familles et c’est parfois bien difficile de se battre contre l’hérédité!

    Cette petite manie d’économie présidait également au choix des menus de notre grand-mère : ascétisme et frugalité tenaient souvent lieu de ligne de conduite à ce niveau. Que de sardines ont ainsi fini dans l’estomac, visiblement pas rancunier, de la châtelaine d’Aineffe. De simples petites sardines dans un grand château, quel contraste !

    Ce souci de ne pas gaspiller avait également mené Bonne-Maman à prendre l’habitude de manger par priorité la nourriture en approche de date de péremption plutôt que celle toute fraîche. Le résultat, c’est que, le plus souvent, celle qui était fraîche au début ne l’était plus vraiment à la date où elle figurait en tête de liste pour la prochaine consommation… Mais rien à faire, Bonne-Maman, n’a jamais voulu rien entendre à ce sujet.

    Jamais ? Et bien non, ce n’est pas tout à fait exact. La veille de sa mort, à Bierges, nous étions à nous deux et je lui préparais son souper. Oh, rien de bien gastronomique : pain perdu et mandarines.

    Tout d’abord à ma grande surprise, elle a surveillé d’un œil de spécialiste la confection des pains perdus, soulignant d’une voix pas exactement flûtée, on était plutôt dans le registre du trombone, les éventuelles variations que je tentais sur le thème du pain perdu. Bref, back to basics, j’ai fait comme elle disait !

    Arrivée au stade mandarines, elle m’annonça ne plus avoir tellement faim. Mais comme Mamy (Tante Claire pour le reste de la famille d’Otreppe) m’avait dit que c’était important pour les vitamines (santé, santé, mon cher souci…), j’ai cherché un argument imparable pour convaincre Bonne-Maman : « Bonne-maman, regarde, il y en a une qu’il faudrait manger rapidement ». A quoi elle m’a répondu : « Pour une fois, j’aimerais bien en manger une qui ne soit pas pourrie ! »

    Le lendemain de sa première mandarine non blette, Bonne-Maman nous quittait. N’y voyez aucun lien de cause à effet…

    Anne

  10. Commentaire de Charles

    Je viens de lire « Enfance » avec délice.
    Mon côté raisonneur, amoureux de précision, voudrait rendre aux châtaignes et châtaigniers leur place usurpée par de grossiers marronniers, mais bon, c’est ton histoire, et c’est vrai que les gens venaient ramasser « des marrans chez monsieur le baran » … « … »
    Je t’ai suivie en rêvant avec toi sous le grand hêtre et son tunnel. Bon, il n’était pas pourpre, bien vert (« normal » comme un président), mais spécial quand même, avec ses feuilles en fer de lance, dites laciniées. Cependant l’effet tunnel était indéniable.
    Le château revit comme alors (la rampe !), et la grand-mère effacée est gentiment croquée.
    Pour moi aussi, il a fallu du temps pour la connaître un peu, et j’admire que tu l’aies fait parler d’elle ! Je l’ai connue du temps de Bon-Papa : plutôt autoritaire, il prenait la place, et elle « savait garder sa place » !
    Il a fallu des années après la mort soudaine du Bon-Papa pour qu’elle montre qui elle était. Et ce fut un régal progressif, tout en finesse …

    signé: un cousin un peu plus âgé…

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