Pas ajourés

New York, composition 9
Oeuvre de Catherine van den Steen
http://catherinevandensteen.blogspot.com/

catherine

Pas ajourés
D’un reste de paroles
D’une ombre de solitude
D’une trace de regards perdus
Aux ombres absentes
De reflets sans illusions
De ce bruit qui résonne, encore

Marche ajourée
D’une sève ensanglantée
Au passage sans chemin
D’un homme
D’une femme
De celui que l’on traîne, en plus

Vie ajourée
D’une brise sans nom
D’une corde nouée
D’une boite vide
Du tronc creusé, vidé, blessé
Aux encres évaporées
De ce rien que l’absence crie, en boucle

Risques ajourés
Du jeu ténu
Du silence apporté
Du sol en lumière
Aux accents quotidiens
De ce demain qui murmure, enfin

Commencements

Tout a commencé par ces nuits de cauchemars, enfant, où le noir te presse, le silence te brûle, les tremblements te blessent. Les nuits où tes pas courent vers M. ta jeune fille au pair, où ses bras s’ouvrent pour peupler ton chagrin, lui donner un nom, le sortir du vide.

Tu n’appelles pas ta mère, non, tu te tais. Tu sais qu’elle ne viendra pas, que rien ne viendra d’elle dans la nuit. Tu te tais et tu vas chercher ce qui t’apaises, au moins un moment ! Quand le jour est levé, tu retrouves ton sourire. Tu grappilles de ci de là ce que d’aucuns te donnent. Tu charmes, ta douceur et ta gentillesse font merveilles … ce sont tes armes pour te faire un bagage de tendresse et d’amour. Tu recueilles, accueilles, gardes, même si au centre, il manque le tronc, le socle… La seule chose que tu comprends c’est qu’être une fille c’est être sage et obéir à sa mère. Ou bien être malade pour qu’elle te soigne. Alors tu le fais. Mais tu aimerais comprendre aussi, les questions qui flottent, les absences, les peurs solitaires, les petits coups au ventre de chagrin, les mots durs qui parlent de toi comme d’une petite fille que tu ne connais pas. 

Tout a commencé dans cette absence continue, quand les mots de ta mère fleurent la trahison, et t’abandonnent face à la maîtresse injuste, face à ta sœur jalouse, face au silence de la nuit. Ses mots ne sont jamais ni baume, ni barrières, ni boucliers … et encore moins cadeaux. Tes chemins vers l’école sont sans pas pour te guider. Tes paroles s’envolent sans être écoutées. Même tes réussites n’existent pas. Elle croit que tout ce que tu gagnes lui vole quelque chose. Etre une fille c’est obéir et être comme elle veut. Alors tu le fais, même si tu ne comprends toujours pas ! Et tu continues de cueillir de-ci de-là, une main creuset, un regard fleuve, une parole chaleur, une amie. Et tu avances.

Tout a commencé quand tu as enfin compris qu’elle ne savait rien de toi, si ce n’est la couleur de ton sang quand elle te soigne. Tu es sur la terrasse avec elle, le jardin est doux, le temps paisible. Et pour une fois, tu essaies de raconter un peu, vraiment, ce que tu vis… Et devant sa stupéfaction, le masque tombe et tout explose en toi. Une marée d’images te saute au visage. Ainsi tu n’existes pas réellement pour elle autrement que comme une image préfabriquée sans liens avec ce que tu es. Tu n’es finalement, ni fille, ni sœur, ni mère, ni toi… rien de réel. Et passent en toi dans une fulgurance, tout ce que tu as cherché, accepté, avalé, porté, offert pour être sa fille, sans être toi.

Et enfin tu comprends, ce creux qui appelle en toi, cette quête obstinée de ce qui te nomme, te reconnaît, te goûte, cette exigence à être pour les autres plus que pour toi, cette peur de courir.

Tout a commencé quand tu as fait mourir l’illusion d’être sa fille. Tu l’es sur le papier, pour elle sans doute, pour les autres peut-être. Tu l’es sur un acte de naissance, un passeport, un livret de famille, une photo d’anniversaire… alors qu’elle n’a jamais pu être là ni pour toi ni avec toi. 

Et dans cette histoire que tu racontes à tes enfants, tu te tais encore. L’amour a ses mystères. Il saute à cloche pied, en laissant des vides. Elle n’a jamais pu être ta mère mais elle réussit à être leur grand-mère. Tu ne cherches plus à comprendre.