Ailleurs…

Ailleurs. Ouvrir des portes aux sons à apprendre, aux couleurs à apprivoiser, aux goûts particuliers, gastronomie de la rencontre. Des mots, des ambiances, la colline des intonations, le rire, le vide quand je vous perds aux détours d’une langue trop rapide, trop locale… apprenez moi. Tourbillon des rencontres chaleureuses et passionnantes à Québec puis Montréal… B. il me manque le son de ton accordéon. Je n’ai pas osé te demander. I. et ton audace de vivre. M. et ton accueil spontané. G. et ta petite question : elle est où l’amie de maman ? A. et L. en toute simplicité. A Saguenay, H. en toute humilité la reconnaissance de l’autre, la perméabilité à ce qu’il est. G. l’accueil raffiné, l’humour partagé. Accueillir de nouveaux chemins d’amitié.

Ailleurs. Se laisser envahir. Le temps n’est pas le même. Les repas, l’air, les bruits non plus. Etre en appétit de ce qui s’approche de moi. Cet anglais en roulade dans vos voix. Ce Bienvenue en écho comme une litanie d’accueil. Ces visages souriants sous les tuques, ces corps emmitouflés. Le soir qui commence à l’heure du goûter chez nous. Cette simplicité, cette spontanéité y compris dans le formel. Ce tutoiement immédiat. Ces bras qui m’enveloppent sans attendre. Attendre quoi d’ailleurs ? Pourquoi faudrait-il attendre pour être juste humain ensemble ?

Ailleurs. Ces mots venus à ma rencontre, qui m’ « allument », me « pognent »… au théâtre, sur vos enseignes, vos devantures, vos histoires… décalage sans forfanterie. Cette obstination à ne pas céder devant l’anglais. Cette langue est votre langue. Fierté défendue.

Ailleurs. Ce « je » plus tout à fait le même. Ce « je » au carrefour d’un espace-temps sans contrôle. Le vent fouette la neige sur mon visage, cette maison grise au bord du boulevard et je ne suis plus aujourd’hui mais hier. Est-ce si loin ? si différent ? Est-ce encore moi ou toujours plus moi ? Peut-être cet instant me raconte-t-il sans que je doive choisir les mots. Ces pas dans la neige, le bus 51 sur Queen Mary, le Ville Marie… Comme une poignée de main. Adoubement d’un ami neuf, caché voire tapi dans une niche silencieuse. Ainsi on était plusieurs et je ne l’avais pas tout à fait compris.

Ailleurs. Une petite chanson de ma belgitude. A ce lutin de l’exil. Mais oui, passer une frontière est toujours une forme d’exil. De pari d’un mélange, d’une part d’oubli, de petits silences, de compromis, d’enrichissement, de floraison, de nouveauté. Ici, des musiques familières résonnent. Je n’aurai pas imaginé.

Ailleurs. Le choc du grand, du massif, de l’immense. Electroménager, camions, voitures, burgers, immeubles, rues… les paysages à perte de vue, ces routes interminables, ces rails sans fin. Combien d’arbres, de brins d’herbes, de nuages, de bourrasques de neige courent avec le bus ?

Ailleurs. L’inconnu comme méditation et comme appel. Comme plaisir ancré. Le route s’enfile comme un chapelet rebelle. Ce chemin sinueux vers la montagne au loin. Ces bouquets d’arbre penchés par les éléments. Les restes de neige et de glace agrippés au creux des chemins. Ces longues tiges rousses frémissant au vent. Histoire mystérieuse avec moi et sans moi. Ce vide de l’inconnu écrit l’évidence que je suis neuve, que le jour est à inventer… avec cette goutte incandescente intérieure de ce que je suis.

Pousser la porte

Pousser la porte ? un effort surhumain. Comment affronter les regards, les mots. Trouver ses propres paroles. Rester debout. Surhumain. En toi, le socle est fracassé de trahisons, de mots oubliés, de regards façades, de lassitudes. Des bribes se disent encore mais si calfeutrées.
Pousser la porte est surhumain. Repartir à la rencontre, c’est sortir de son trou le petit reste d’espoir caché, briser le mur de la peur. Celui qui t’a fait passer des centaines de fois devant cette porte, avec des gestes muets et un pas sans arrêts possibles.
Pousser la porte a été un cadeau, de celui qui croit encore pour toi et en toi. Ton cadeau aussi pour un autre. C’est parfois un peu plus urgent que pour soi-même.
Ta main tenait la sienne quand tu as poussé la porte. Plus petite, serrée dans tes doigts. Enlacée à toi comme le seul verrou possible. Et derrière la porte ouverte, personne n’a regardé ta vie claudicante, tes pas silencieux, tes blessures encore ouvertes. Le bonjour était pour toi, ta main sur la porte et un bout d’espoir dans les yeux. La rencontre, simplement.
Il y a eu des jours et des jours, des cafés, des matins, des heures, des minutes. Pousser la porte est devenue une survie, un soulagement, une envie, un plaisir, une joie. Et ton regard venait de loin en réponse à ma question : « il est où ton rêve ? ». Ta réponse a jailli : « dans ce moment, là, où je peux te faire confiance . Je n’y croyais plus.».

Tricoter serré. Les mailles tirées, enroulées, croisées, nouées. Tricoter la vie, les liens, toi avec moi, nous avec lui, et lui et eux et nous… Ton regard, clair de lumière, pétillant, en dit long sur les mailles rapprochées qui te lie maintenant à la vie.