« Un homme que tous prenaient pour un géant avait laissé des années sa demeure inhabitée. Les enfants avaient pris l’habitude d’aller jouer dans le jardin » (Oscar Wilde). Romane , Alexis et Pomme étaient le cœur de la petite bande qui avaient investi cette terre de jeu exceptionnelle. Ils avaient découvert l’entrée par hasard. Une brèche dans l’épaisse haie qui se refermait étrangement après chacun de leurs passages.
La première fois, leurs pas avaient été très petits pour avancer. Cette sombre demeure aux volets clos se dressant dans un jardin hirsute aux herbes hautes et aux broussailles triomphantes n’avait rien de rassurant. Un silence inquiet suivait chaque pas, guettant un signe éventuel. Puis , paradoxalement, l’absence de vie les rassura. Et ils partirent explorer. Tout et plus encore. Les recoins des escaliers, la cabane à outils abandonnés, les arbres enchevêtrés et les buissons dodus.
« Ici, on ne nous demandera pas de ranger » claironne Pomme, un rire dans la voix.
« Chuuut ! » soufflent les deux autres pas encore totalement rassurés.
Pomme hausse les épaules et ajoute : « Mais il n’y a personne, vous voyez bien. Ce sera chez nous maintenant. Notre maison et notre jardin à nous. »
Romane et Alexis ont dit oui. Mais ils disent toujours oui à Pomme. Parce que Pomme, c’est… C’est difficile à dire mais Pomme a comme un goût sucré, une vigueur, une couleur qui vibre de vie. Et personne ne lui résiste.
Au fond du jardin, au pied d’un chêne majestueux, Pomme a trouvé ce qu’elle voulait. Un petit coin rond, abrité par les branches étirées de l’arbre, pavé de glands dorés et bordé de buis échevelés. « Là, se dit Pomme, ce sera notre lieu secret. »
Alors, tous les mercredis, la petite bande arrive avec les copains pour des parties endiablées de jeu interminables et de cache-cache haletants. Pomme parfois, s’isole dans son coin. Adossée au chêne, elle reste là posée. Elle sent dans son dos monter de la force, comme si le chêne lui partageait sa sève. Parfois, ils parlent. Pomme lui confie ses secrets, ses pensées. Et l’arbre lui donne son avis. Et Pomme s’y sent bien. Après tout, le chêne est vivant comme elle, non ? Et, malgré tout ce que les gens du village disent de lui, elle n’a pas peur du géant inconnu de la maison vide. Juste, elle se demande : Comment il est ? S’il est si grand que ça ? Comment il s’habille ? S’il a une grosse voix ? C’est qui son coiffeur ? … et plein d’autres choses encore.
Ce mercredi-là, Pomme est arrivée bien avant les autres. Et, de suite, elle voit une lumière filtrant derrière un des volets de l’étage, un passage écartant les feuilles tombées sur les marches menant à l’entrée et le volet de la grande porte du perron battant au vent. « Le géant est rentré » se dit-elle. Sans réfléchir, elle file dans son refuge et commence à bourrer ses poches de glands.
« Que fais-tu ? » s’étonne le chêne.
« Une réserve de cadeau » répond Pomme affairée.
« Des cadeaux ? s’étonne le chêne « mes glands tombés par terre ? ».
« Ben oui, répond Pomme comme une évidence, si je le mets dans la terre ton gland, il va pousser, faire une nouvelle plante, un nouveau chêne. Non ? Donc, c’est un cadeau, comme la vie. »
Et sans attendre la réponse, elle fonce vers le perron, pousse toutes les feuilles qui l’envahissent et avec ses glands bien serrés les uns contre les autres, dessine un beau cœur. Puis elle repart vite vers le village pour que personne ne vienne aujourd’hui. Et au gré de ses pas, elle chantonne : « le géant est revenu, le géant est revenu ! »
Mais la nouvelle qui l’excite tant, plonge le village dans la crainte. Chacun en rajoute sur ce géant qu’ils n’ont jamais vu. Et les voix enflent, les propos se gonflent, nourrissant les peurs les plus invraisemblables. Pomme se tait. Elle a décidé d’y retourner ce soir quand tout le monde sera rentré chacun chez lui. Elle veut le voir ce géant !
Le soir tombé, elle entre dans le jardin noir. Sur le perron, éclairé par la lumière jaillissant de la maison, plus de glands mais le géant, assis, pensif, les glands dans sa paume ouverte. Nullement craintive, Pomme s’avance. Le géant lève son regard sur elle et murmure : « Merci ! Je croyais que personne ne m’attendait. »