Je déploie lentement mes jambes croisées. Mon regard se lève. Il caresse le mur, là, au fond du salon. Chacun de vous a suspendu son attente, sentant mon attention courir de l’un à l’autre. Je peux presqu’entendre vos appels, vos espérances… Il y a comme un bruissement de l’envie, un envol, une aube…
Je savoure cet instant indéfini, cet imprévisible possible. Je le fais même durer. Guettant quand l’impatience de l’appel prendra le dessus, de choisir l’un d’entre vous.
Aujourd’hui, j’irai vers l’égaré. Installé, non… abandonné sur l’angle du guéridon. Il y est depuis longtemps. Jeté là dans l’urgence d’un retour de courses. Et il attend.
Je me lève. Je m’approche. Glissant sans heurts mes pas vers lui. Une caresse d’abord pour apprivoiser la rencontre. Puis le saisir et entrouvrir avec impudeur son univers ensommeillé, son jardin clos. Et entrer en amour, le corps en alerte, l’attention en éveil, le geste ralenti.
Bonjour toi ! Tes premières pages me saluent. Puis m’emportent et me bousculent. Je prends la cadence de tes mots, mon esprit la musique des couleurs, mon espace si familier une ampleur inédite. Ma main s’impatiente vers les pages à venir, puis se calme envahie par la marée de sentiments réveillés. Goûter, surtout goûter. Rien n’existe plus que ce monde ouvert à l’infini.
Une porte claque. Elle m’arrache à cette étreinte avec toi. Refermer les pages, garder pour plus tard cette pépite incandescente.
Je te glisse près de mon oreiller. Attends-moi pour reprendre tout à l’heure cette danse amoureuse et renouveler en moi la palette infinie des sentiments enfouis.