Aujourd’hui, rochers noirs et mer de soie.
Aujourd’hui je l’ai rencontrée. Isolée et calme, avenante et débordante, cachée et déployée, … j’ai rencontré mon île. Entre couleurs salées et odeurs chatoyantes, sable fluide et vagues filantes, j’ai trouvé ma place, mon cocon, mon refuge. C’est à moi, pour moi. Je ne veux rien d’autre et surtout, personne d’autre !
Merci.
Aujourd’hui, sable endormi et mer de feu.
Aujourd’hui, j’ai goûté l’aube naissante. Voir le soleil percer de la mer, pousser pour naître, nourrir de lumière la terre attentive, a posé comme une braise en moi. Le jour qui m’attend me fait un peu peur. Et si je suis honnête, c’est surtout de moi que j’ai peur.
Allons.
Aujourd’hui, rochers bruyants et mer câline.
Aujourd’hui, jour de joie sur mon île. Les délicieux moments passés débordent de moi. Fou rires, gâteaux, paresse, et confidences. Comme un goût d’enfance pour ces jours partagés, un goût de bon, un goût de vrai, un bonheur ajusté. Il me faut à tout prix leur raconter que la vie est aussi délicieuse.
Saveurs.
Aujourd’hui, mer adolescente et rochers accueillants.
Aujourd’hui ma solitude est habitée. Quand je pars, vos regards me suivent, interrogeant mon exil. Je sens que vous vous sentez exclus, presque rejetés. Rien de tout cela pourtant. Simplement un impérieux besoin de la justesse d’une distance, d’un temps de regard aiguisé sur moi, sur les autres sur la vie. Trouver l’équilibre, nouer les fils épars en accord avec le silence, la mer, le vent et les rochers. Juste cela. Et même comme cela, dans mes envies de solitude, j’ai l’éternelle illusion que me détacher de tout, c’est n’avoir besoin de rien. Illusion en effet !
Là-bas, j’emporte l’image de ceux que j’aime. Les regarder m’émeut et me réjouit. Ils sont avec moi. Je sais, le temps de la solitude, le long temps de la séparation efface peu à peu ces images. Je sais, emporter leur photo, temps arrêté, me garde dans l’éphémère et trompeuse illusion. Mais cela me rassure.
Là-bas, j’emporte des mots, écrits ou entendus. Comme une litanie inépuisable, ils me ramènent à leurs ports. Des mots écrits, une Bible, Célébration du quotidien de Colette Nys-Mazure et une encyclopédie de poésie. Des mots entendus, ma mémoire en sera l’éventuel receleur complice de ma voix pour me les redire à moi-même ou me les conter dans le soir.
Les mots des autres, le chemin des autres, c’est un ancrage, une bouée, un repère. Et dans mon île, il n’y en a plus. Le temps s’évapore et l’espace inchangé gomme peu à peu le connu, le nommé, le vécu. Et sur mon île, aussi mon livre de recettes. Oh, je sais, il n’y a sans doute aucun moyen de les réaliser. Qu’importe ! Leurs saveurs énoncées là sous mes yeux, réveillent le goût du bon, de l’insolite… le plaisir de manger et de savourer.
Si je pars très loin de tout, se glisseront aussi un recueil de blagues, mon oreiller, un cahier, un stylo et quelques bandes dessinées. Mais me direz-vous… est-ce encore ainsi la solitude ?
Trésors.
Aujourd’hui, rochers lyriques et sables attentifs
Aujourd’hui, envie de mots, de chants, humeur de poème… Sa voix assourdie et obstinée me poursuit et me hante, mon île est bavarde, de musiques et de souffles, de vagues insolentes, de ressacs paresseux.
Ses bras chaleureux m’enlacent enveloppant mes peines, intensifiant mes bonheurs. Mon île est amie, de révoltes et d’amour, de fidélité patiente, d’interrogations silencieuses. Ses mots murmurés ou hurlés résonnent en moi, mon île habite ma solitude.
Douceur.
Aujourd’hui, soleil timide et vagues paresseuses.
Aujourd’hui, assise, posée paisiblement dans l’instant. La longue plage de sable blond, bordée d’herbes hautes repose. Le soleil s’y promène, l’eau l’a désertée pour les rochers plus bas.
Au loin, arrivent d’abord deux femmes marchant au rythme des confidences. Les suivent un petit bonhomme menu et décidé. L’insouciance des femmes sans un regard pour ce petit qui marche avec audace, me trouble. Je ne peux en détacher mon regard. Le petit se dirige vers l’eau à l’opposé des femmes. Loin d’elles. Je suis prête à bondir quand apparaît une sombre silhouette qui court vers lui.
Un chien ? Il est immense alors. Son dos est plus haut que le petit, sa gueule carrée au museau noir tient un peu de l’ours, son poil long et touffu le rend encore plus massif. Pourtant, sa course s’adoucit à l’abord du petit, s’assouplit, se soumet. Et sans un aboiement, il se place entre l’eau et l’enfant. L’enfant s’écarte. La bête tourne et revient. Et dans la douceur du soleil d’hiver, c’est un ballet entre audace et protection qui se danse sous mes yeux étonnés.
Petit à petit, les voix s’approchent. Marquant de courbes improbables le sable nu, les femmes, l’enfant et la bête arrivent près de mon île. Tout près ! Je devrais partir, m’échapper, cesser d’être voyeur de leurs pas et de ce qu’ils racontent. Mais je reste là les yeux rivés sur ce qui semble bien être un chien.
Il est tout entier donné au petit. En alerte, il contourne, revient. Haletant, il s’assied puis repart, galope, pour insensiblement rapprocher l’enfant des femmes. Sans heurts, sans bruits, sans charge, dans une puissante douceur.
Je sursaute brusquement, surprise de le voir proche de moi. Il m’observe, ses yeux me scrutent, me questionnent… ami ou ennemi ? Ni pour moi, ni pour lui, … pour le petit. J’avoue, mon cœur bat. Je tremble un peu. Sous ses airs bienveillants, je sens la force qui l’habite. Il ne ferait pas bon être son ennemi. Je ne bouge pas. J’attends. Sans me dérober à son regard. Le petit approche encore et je me lève pour partir. Je lui laisse mon île. Il est sous bonne garde.
Paix.
Aujourd’hui, rochers interrogatifs, vagues enfouies,
Aujourd’hui, la rage m’habite. Trop de douleurs, d’incompréhension. Marquée au fer rouge de mots, de regards, de gestes. Les larmes même sont insuffisantes. Comme mon île soudain muette.
Dans cette rage obscure, je voudrais attaquer tout. Absolument tout. Même le rocher paisible et ventru dont la rondeur m’exaspère. Mais que fait-il là ? Comment supporte-t-il l’incessante attaque des vagues, le grignotage insidieux du sable, le frôlement indécent du vent. La rage fait vibrer tout mon corps.
Je suis là, chuchote le rocher. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas depuis quand, ni grâce à qui. Ce que tu nommes attaque est pour moi rencontre. Le sable m’affine et me façonne, le vent me caresse et m’embellit, l’eau me lave et me sculpte. Ils sont pour moi, je suis avec eux. Quelle promesse nouvelle pourrais-je attendre ?
Le grain de sable ajoute: je suis là minuscule et infime dans la multitude des sables, je ne sais pas depuis quand, ni grâce à qui, ni pourquoi. La vague me prend à chaque montée, me bouscule et me fait danser, je pars plus loin vers d’autres sables nouveaux et inconnus. Je caresse les peaux de ceux qui s’allongent sur moi, je leur transmets la chaleur du soleil. J’abrite et cache, cailloux et coquillages. Je suis là. Quelle promesse nouvelle pourrais-je attendre ?
Nul besoin d’écouter le vent ou la mer. La nature m’a redit ce que la rage noyait de son encre. Trouver dans le plus petit, le plus insignifiant, le plus anodin, le plus douloureux parfois, dans l’autre et tout ce qu’il est, l’étincelle qui donne sens et qui fait vivre.
Se nommerait-elle Dieu ?
Confiance.
Aujourd’hui, soleil alangui, plage endormie,
Aujourd’hui, mon île intrigue. Ou du moins les chuchotements et les questions glissent maintenant jusqu’à moi. Avant, je ne voulais pas les entendre. Et si je n’ai toujours pas envie de les entendre, je perçois la note égoïste que mon île dégage. Mais je refuse de m’en expliquer. Peut-on expliquer la respiration, le souffle ? Peut-on définir le temps posé ? Peut-on enfermer l’humeur vagabonde ?
Mon île est à moi, j’y puise mon souffle, j’y dessine demain, j ‘y enfouis mes peurs. Lancés aux éléments, mes mots parlent d’amour de mort, de donner, de recevoir, de joies de peines, de vous de moi, d’aujourd’hui. Je ne suis pas sûre d’être prête à vous l’ouvrir.
Crainte.
Aujourd’hui, vagues bondissantes, soleil joyeux
Aujourd’hui quelque chose bouge en moi. De là où je suis, je ne vous vois pas. Je suis loin de tout, de vous, loin du bruit de la ville et des cris du monde. Je suis seule dans mon île. Un bout de sable blond portant sans effort le granit et les vagues. Ne croyez pas que mon île soit une fuite. Je suis bien incapable de fuir, je tiens trop à ceux que j’aime. Non, c’est une bulle, une distance, une absence, une solitude qui m’apaise un temps. Quand elle me blesse, j’entends l’appel à la quitter. Mais aujourd’hui est un jour particulier.
Qui que vous soyez, je vous y invite, par ce message tel un Robinson à l’abandon, dans une bouteille bercée par la mer.
Inconnu.
Aujourd’hui, soleil incertain, houle coquine
Aujourd’hui, grincement d’une porte. Sous mes envies de solitude, s’entête le sentiment que les autres ne me sont rien. Que je n’en ai aucun besoin ici. Illusion encore. Mes rendez-vous solitaires entre mer et rochers s’allongent et se rapprochent. Qu’en est-il de moi et des autres ? Je ne sais pas. Cela trouble ma solitude. Solitude qui tendrait à ne plus être la même.
Depuis quelques jours, j’aperçois un homme qui arpente les mêmes lieux que moi. L’apercevoir de loin, et de manière régulière, m’agace. Cette île est la mienne. Que vient-il faire là ? J’oscille entre agacement et curiosité.
Balancier.
Aujourd’hui, sable en attente, souffle suspendu
Aujourd’hui, il est encore là. Ni loin ni proche, présent. Ses heures semblent être les miennes. Quand le soleil décline et qu’il épouse la mer là-bas, le voilà qui arrive sur la grève. La cinquantaine grisonnante, silhouette longue et souple, le pas sans hâte, avec souvent un livre dépassant de la poche de sa veste. Il vient doucement habiter mon espace, ma mémoire. Il me revient, une fois partie. Et au fil des jours, grandit malgré moi, l’envie de ne pas en rester là, l’envie d’entendre une voix, de partager des mots, de capter un regard.
Non, demain, je viendrai plus tôt ou plus tard, ou pas. Demain, je serai là à l’aube, je veux être seule !
Enfermée.
Aujourd’hui, soleil levant, sable ouvert
Aujourd’hui, en remontant de ce rendez vous de l’aube, les distances ont changé. Emergeant de l’étroit sentier qui, serpentant entre les rochers, mène à la route, il était là. Presqu’en attente. Et moi très surprise, un peu apeurée. Le regard à la fois souriant et attentif, l’ébauche de sourire et les cheveux ébouriffés me rassure. Je m’arrête.
J’attends.
« Connaissez-vous une île par ici ? »
Sa voix est grave mais légère.
« Non, pas ici. »
Mes sens sont en alerte. Une île ? Quelle île ? La mienne ?
« Dommage, j’aimerais aller vers une île. Y poser les colères, les joies, les rires reçus au fil des jours. J’aimerais y poser les mots que je lis et qui vivent en moi. J’aimerais… »
Je l’interromps vivement :
« Une île pour être seul ? »
Il hésite :
« Je ne suis pas sûr de savoir ce que c’est d’être seul. Avant tout, je veux répondre à une invitation. ». Le soleil est haut dans le ciel, je souris.
Entendue.
Aujourd’hui, ciel gris, vent debout,
Aujourd’hui ma solitude bourdonne de questions. La vie est un enjeu, je ne sais pas lequel. Entre l’inlassable obstination du ressac, l’imprévisible violence des rafales et l’anonymat révoltant des grains de sable, j’observe, je reçois et je ne sais pas. C’est comme la vie et je ne sais rien. Où suis-je dans tout cela ? Quel prix à ce mot, ce regard, ce baiser ? Quelle chance à la douceur, à la confiance ? Quel espace pour les larmes, les cris, les angoisses ? Même les mots partagés avec lui, s’écrasent sur ma porte close. Tout doit mûrir. Mon île explose, ressasse, boude.
Perplexité.
Aujourd’hui, vent du large, soleil en jeu,
Aujourd’hui, pieds dans le sable, visage noyé de soleil, je me fais surprendre.
« Quel est le jeu sur l’île, aujourd’hui ? » questionne-t-il en arrivant près de moi.
Ma réponse fuse : « le jeu ou l’enjeu ? »
Il rumine ma question. Ses cheveux bousculés par le vent, les mouvements de son visage où se lisent ses pensées, me font sourire. Réflexion enjouée, jeu d’interrogation ou angoisse des enjeux, les chemins qu’il parcourt m’intriguent et me surprennent à chaque fois.