Digue

J’ai vu cet instant où l’âme ploie. Cet instant fragile où la digue du courage perd de sa vigueur. Où le mur des colères et de la peur se dresse par delà les remparts.

Je l’ai vu cet instant. Au creux du regard de Jade. Là, au milieu de la foule qui rit et qui danse insouciante. Le corps de Jade s’est raidi sous une poussée surgie des fonds cachés. Sa main s’est portée vers l’avant, comme pour saisir un mirage improbable.

Son geste s’est arrêté, suspendu.

Qu’a-t-elle vu qui bouscule l’équilibre? Qu’a-t-elle entendu que nul autre n’a perçu? Quelle douleur a surgi, rugi en elle?

Son visage  a balayé les silhouettes autour d’elle, sans leur donner corps. Errant par dessus le bruit et les voix. Cherchant une ancre, une bouée. Perdue dans une brume intérieure.

Son regard effleure le mien. S’accroche, se pose. Elle balbutie un pauvre sourire et sa main achève le chemin pour me faire signe.

Viens danser murmure-t-elle.

Ma main saisit la sienne et l’entraîne doucement.

C’est bon, souffle-t-elle.

Ployer n’est pas rompre.

Sans ménagement

Déménager, sans ménagement, sans repaires, sans douceur.
Gestes répétés, de début et de fin, de nuit et de jour.
Blesser l’espace et le temps d’un nouveau changement.

Le corps accède le premier à ces lumières nouvelles.
L’esprit hante encore l’histoire passée. Errant la nuit.
Captant aigrement les signaux de repos.

L’hôte est furtif. Le geste mécanique. L’espace ouvert.
Entrer dans le labeur qui reconstruit, bâtit et renouvelle
Sueur du poids, mécanique du rythme, gestes mesurés.
Qui suis-je ? L’espace qui m’habite ou celui que j’habite ?

Le carton git en forme informe sur le sol.
Blessé de colle vieillie, de coups de ciseaux impatients.
Sans destin, impropre, hors d’usage.

Les mains poussiéreuses portent le cadre endormi.
Naissance hors du long sommeil
Les clous résonnent, le marteau s’agite, le voilà au mur.

Et le présent est à nouveau habité.