Aube gracile

L’aube a brulé les derniers lambeaux de nuit qui s’évade, fuit et s’évapore vers ses refuges lointains. Les pierres du vieux mur chantent cette lumière gracile.

Viens, viens, le ciel brûle…

Jade jette l’édredon au bas du lit. Le silence lui répond ou plutôt un souffle au ronflement diffus. Jérôme n’a rien entendu ou ne veut rien entendre.

Elle entrouvre la porte poussant un pied fébrile dans son pantalon, sautillant sur l’autre pour aller plus vite. Cette essence de vie qui rôde au dehors l’appelle irrésistiblement. Les clés, deux tours, la porte et la fraîcheur la frôle. Murmure de son corps. Ses pieds nus enrobés encore de la chaleur du lit, frissonnent dans l’herbe humide. Elle s’allège, glisse, danse. Elle est à peine habillée ? Qu’importe, le jour est trop beau.

Derrière la colline, là-bas, le grondement sourd de la mer résonne. L’aube l’a réveillée elle aussi. Ooh, prendre le pouls de sa vigueur, ployer sous le vent matinal, chanter avec les vagues, savourer la caresse du sable.

Viens, viens la mer danse…

Jérôme n’entendra décidément pas, Jade est loin maintenant. Elle traverse la route, sans chaussures, en douceur, emprunte le petit chemin tortueux qui monte vers les dunes. Craquant de sable, de terre et de joncs égarés.

Pas de précipitations, une douceur appliquée, aux aguets, pour ne rien perdre de la douceur de l’instant. La mer bruisse derrière le mur de verdure. Elle chante et appelle. Sa voix prend de l’ampleur.

Oui je viens, j’arrive, souffle Jade.

Elle accélère le pas. L’étroit passage entre deux murs de sable, c’est le couloir des amours. Celui des retrouvailles.  Trois pas et …

Rien ne change, l’essoufflement mêlé de stupeur, un envahissement soudain, elle est là. Puissante. Grondant à l’assaut de la plage, sauvage et attentive, millénaire et naissante.

Et Jade est fascinée. En cet instant, le monde entier, immense et foisonnant lui parle et l’envoûte. Comment la mer est-elle autant d’histoires à la fois, autant de peuple, autant d’instants ? Comment porte-t-elle chaque matin une telle parfaite innocence ? Comment ne pas sentir ce bercement attendri ?

Jade se jette dans le sable doux, roule en riant, vers les vagues. Elle en a plein les yeux, du croquant dans la bouche, roule, roule, roule encore dans la petite pente. Et s’arrête à la frange de l’écume. Elle tend le doigt, goûte le sel, un tour encore, prend la vague entre ses doigts, et glisse dans les bras de la voluptueuse.

 

Instants de bambou…

Aujourd’hui je vous regarde tous bavarder, échanger, rire, tout en gérant l’apéro avec la bande des petits, enthousiastes et bruyants.
Vous êtes jeunes, beaux, amoureux. Débordés et fatigués aussi mais si vivants. Il y a les nouveaux qui entrent dans la bande des cousins pour la première fois, oscillant entre timidité et curiosité. Il y a ceux qui reviennent de loin et prennent la température d’un univers qui a bougé en leur absence. Il y a à la fois, proximité et distance, qui jouent un espèce de cache cache singulier.
Vous construisez, bâtissez, engrangez. Tout en surveillant d’un œil vif les allées venues de la petite troupe. Les doudous sont légions, les chaussettes perdues aussi, avec les cris de joies en supplément.
C’est délicieux de vous voir. Une bouffée de plaisir.
Je pourrais presque rester à vous regarder, tant ce qui perle de partout éclate de vitalité et d’espoir. Je cueille çà et là des nouvelles, questionne les projets, apprend à sentir quels sont vos chemins. Chacun, vous avez suivi le vôtre, vos envies, vos talents, vos fougues et vos réserves.
Cela me parait hier ces moments-là. Ces instants foisonnants, débordants, où nos familles se construisaient. Aujourd’hui nous sommes les Nanny, Papy, Manou, Grand mère, tantes, etc… fondus et attendris. Nous avons grandis, pris de la tendresse, acquis ce qu’il faut de détente pour apprécier l’instant.
En nous voyant tous ensemble je nous trouve ressemblants à ces cascades coulant dans d’improbables et fragiles édifices de bambou. L’eau perle, glisse, insaisissable mais inexorable, obstinée.
La vie passe, coule et marche… et même sous la fine pluie, elle ne s’arrête pas.
Merci.

La liste des silences qui m’ont parlés…

Aube

J’avais envie de me lever seule en ce matin de voyage. Aussi, je t’ai laissé te préparer avant moi, guettant le bruit sec de la porte, en gardant les yeux clos. Seule. Avec la musique de bruits inconnus chatouillant mes oreilles.

Puis, je me lève, m’habille rapidement et me glisse dans les couloirs de l’hôtel. Dehors, le cloître médiéval est nimbé d’une chaleur fragile. L’aube a des accents dorés. Mes pas glissent sans bruit sur les pierres ancestrales. Une grande porte de bois cloutée me fait face, elle m’appelle. Je la pousse avec curiosité. Alors, le temps plonge. La chapelle que je découvre, respire la paix. Ses colonnes parlent de notes, de prières et de vie. Les voûtes résonnent de chants inconnus.

Mon corps se nourrit des chemins inscrits là. Instant arrêté, ouvert, bavard. Je savoure le décalage avec ma vie. Cet écart qui lui donne en cet instant, toute son ampleur.

 

Émotion

Aujourd’hui, c’est un jour culturel. Exposition d’une amie. Œuvres multiples, discours croisés, entrer dans une expo, c’est d’abord un flot. Une multitude. Puis au rythme des pas, c’est un engagement particulier, un dialogue plus intime.

C’est le troisième tableau de la série qui a ouvert le silence. Une rue qui part en tournant, un jeune garçon finement éclairé par un rayon famélique, une sorte de désert urbain qui crie solitude et misère. Et me voilà ailleurs.

Rien de ce qui m’entoure ne m’atteint plus. Mes pas foulent le bitume, cueillant la chaleur furtive. Le silence pesant de la rue explose en moi. Le jeune garçon abattu appelle ma main chaleureuse. Émotion gratuite qui s’échappe de toute obligation. Saveurs des couleurs, de l’équilibre, de la justesse. Echos de bruits imaginés. Une peinture qui me parle. Je l’écoute.

 

Départ…

La maladie est notre quotidien depuis quelques mois. Et si nous en parlons peu, elle a tout envahi. A coups d’odeurs de désinfectants, de roulements grinçants de brancards, de décomptes obstinés d’appareils de mesures ou de mots feutrés par les questions sans réponses. Toute notre vie s’y trouve maintenant engloutie.

Depuis quelques jours, tu vas moins bien. Tu dois porter le masque à oxygène de plus en plus souvent. Et je ne sais qui, de toi ou de moi, cherche le plus à cacher sa peur. Une sincérité affaiblie qui nous éloigne l’un de l’autre. Les mots sont posés, un peu vides. Les gestes mécaniques nous sauvent de l’instant.

Ce matin, je dois respirer fort, pour trouver la force de pousser la porte de ta chambre d’hôpital. Mon entrée discrète ne te réveille pas. Je vois au mouvement régulier du drap que ton sommeil est paisible. Je m’assieds sur le lit. Et je ne résiste pas à poser ma main sur la tienne.

Doucement tes yeux s’ouvrent. Les mots sont inutiles. Regards croisés qui portent autant de peur que d’amour, d’envies que de regrets, mais surtout une incroyable vérité de l’instant, née de nos fragilités dénudées.

Si tu dois partir, tu le peux. Tout a été dit.